Crise de surcapacité dans l’industrie charbonnière
Crise de surcapacité dans l’industrie charbonnière
Par Clémentine Thiberge
Dans une nouvelle étude, trois ONG alertent sur la construction massive d’usines de charbon, au moment où la consommation mondiale du combustible diminue.
Une usine de charbon à Datong, en Chine, en novembre 2009. | Jason Lee/Reuters
L’ère du charbon touche à sa fin, il est temps de se tourner vers d’autres sources d’énergie. C’est en tout cas ce que suggère une étude publiée le 30 mars par les organisations non gouvernementales Greenpeace, Sierra Club — la plus ancienne ONG de protection de l’environnement — et CoalSwarm — un réseau de chercheurs étudiant l’impact du charbon et des solutions de remplacement.
Cette nouvelle analyse illustre qu’un changement d’époque est en train de s’opérer concernant l’utilisation globale du charbon, principalement sous l’influence des énergies renouvelables. Pour arriver à ce constat, les chercheurs ont analysé les projets de construction de centrales à charbon dans le monde entier, qui représentent au total 1 424 gigawatts, soit l’équivalent de 1 500 centrales, et mis en parallèle la consommation mondiale de ce combustible.
« La consommation de charbon diminue depuis deux ans. Au même moment, toujours plus de centrales sont en construction. Ce qui entraîne un taux d’utilisation de ces usines inférieur à 50 %, et qui continue de diminuer. C’est incohérent », explique Ted Nace, directeur de CoalSwarm.
Selon un rapport de l’Institute for Energy Economics and Financial Analysis (IEEFA), la consommation mondiale de charbon a baissé pour la première fois en 2014. En 2015, la planète a brûlé environ 3 % de charbon de moins que l’année précédente. Et cette baisse devrait continuer cette année.
« Il y a une déconnexion entre la production et la consommation, qui créé une bulle de surcapacité dans l’industrie, révèle Nicole Ghio, chargée de campagne pour Sierra Club. Et cette crise, qui affecte le secteur, s’aggrave à mesure que les projets d’usine s’accumulent. »
Le charbon, un mauvais investissement
Selon l’étude, le coût total de construction de ces nouvelles usines à charbon s’élève à 981 milliards de dollars. « Le charbon est aujourd’hui beaucoup plus coûteux que les énergies renouvelables, qui sont très compétitives. C’est un investissement risqué alors que la demande diminue, souligne Nicole Ghio. Il n’y a aucun avantage à continuer d’utiliser ce combustible : c’est risqué économiquement ; mauvais pour la santé ; mauvais pour le climat ; et n’aide pas la pauvreté énergétique. »
En effet, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), cette dépense correspond à environ une fois et demie la somme nécessaire pour assurer l’accès à l’électricité aux 1,2 milliard de personnes en situation de pauvreté énergétique. Et en termes de santé publique, ce n’est pas mieux. En se fondant sur plusieurs études, le rapport estime le nombre de morts prématurées dues au charbon à huit cent mille par an. « A cela, on peut ajouter les cent trente mille morts supplémentaires chaque année si les projets de centrale se réalisent », explique Ted Nace.
Au lendemain de la COP21, le charbon est également critiqué d’un point de vue climatique. Parmi les trois énergies fossiles, pétrole, gaz et charbon, ce dernier est le plus polluant. « En termes de sécurité climatique, l’horloge tourne pour la transition énergétique, continue le directeur de CoalSwarm. Il n’y a pas de temps à perdre. »
Les émissions futures des centrales existantes sont déjà supérieures de 50 % au plafond compatible avec un réchauffement limité à 2 °C. « La construction de ces nouvelles centrales n’est pas conciliable avec les objectifs des accords de Paris, souligne Lauri Myllyvirta, directeur de campagne de Greenpeace. La grande question est aujourd’hui de savoir si les compagnies d’énergie vont dépenser des milliards pour continuer de faire tourner des usines au minimum, pour éviter que les émissions ne dépassent les quotas, ou si elles vont abandonner ces usines dépassées et aller de l’avant. »
Pour Nicole Ghio, c’est clair : « L’ère du charbon arrive à sa fin, il est temps d’abandonner cette source d’énergie polluante, dangereuse et dépassée pour se tourner vers des énergies propres et renouvelables, comme le solaire ou l’éolien. »
Un secteur d’énergie qui ne reflète pas les besoins des pays
Bien que les plans de retrait d’usine soient de plus en plus nombreux, principalement en Europe et aux Etats-Unis, ils ne parviennent pas à contrebalancer les constructions à l’échelle mondiale : les usines en phase d’arrêt représentent aujourd’hui un cinquième des nouvelles constructions.
Ce problème de surcapacité est particulièrement important en Chine. Premier émetteur mondial de gaz à effet de serre, ce pays est également le plus gros producteur d’énergie à base de charbon (environ 880 GW). Dans ce pays, le taux d’utilisation des centrales à charbon est passé sous les 50 %, soit le niveau le plus bas depuis 1969, et les autorités prévoient une baisse à 45,7 % pour cette année.
« Il y a interférence des pouvoirs locaux. Pour eux, construire des usines est une bonne manière de relancer l’économie locale. L’industrie du charbon bénéficie donc de bonnes conditions de financement », explique Carlos Alvarez-Fernandez, de l’Agence internationale de l’énergie. « Les investisseurs surestiment la demande de charbon et sous-estiment la croissance des énergies propres », confirme Lauri Myllyvirta.
Le 24 mars, dans une volonté d’atténuer cette crise qui secoue l’industrie, la Chine a annoncé l’arrêt de la construction de nouvelles centrales dans quinze provinces et a suspendu les autorisations dans treize. Cette décision pourrait conduire à l’abandon de deux cent cinquante des quatre cent soixante projets. « C’est une décision significative. Cependant, elle n’affecte pas le grand nombre de centrales déjà en construction. Au total, cinq cents nouvelles usines pourraient prochainement entrer en activité dans le pays », explique Ted Nace. Et ce malgré une consommation d’énergie en baisse. « La Chine tient à diminuer ses émissions de CO2. Pour cela le pays fera tourner les nouvelles usines au minimum. Ces constructions sont donc complètement inutiles, affirme Nicole Ghio. La Chine a besoin aujourd’hui d’un secteur d’énergie qui reflète ses besoins et ses objectifs. »
Lire aussi : La Chine a peut-être déjà atteint son pic d’émissions de CO2
La Pologne toujours dans la course au charbon
L’Inde, troisième pays émetteur de gaz à effet de serre, a vu son nombre de constructions baisser pour la première fois en 2015. Aujourd’hui, l’équivalent de 11 GW de capacité tourne au ralenti, faute de consommation. Selon l’étude, avec une énergie solaire désormais moins chère que le charbon, il est peu probable que la tendance change et que les nouvelles constructions de centrale augmentent de manière significative.
Alors que plusieurs pays, tels le Royaume-Uni, l’Australie ou la Finlande, se sont engagés dans un retrait total des centrales à charbon d’ici à 2025, d’autres font figure de mauvais élèves. C’est le cas de la Pologne, plus gros producteur européen d’énergie à base de charbon. Avec une capacité totale de 4,8 GW, ce combustible représente 75 % de sa production totale d’énergie. Et aujourd’hui, l’équivalent de 4,2 GW est en construction dans le pays et autant en projet.