Ethique du protestantisme
Ethique du protestantisme
Par Philippe-Jean Catinchi
Un passionnant documentaire revient sur l’histoire des réformés et leur influence sur la vie sociale et politique (dimanche 24 avril, à 22 h 25, sur France 5).
22 h 25 sur France 5
Le documentaire retrace l'itinéraire des protestants de France. | Compagnie des Phares et Balises
Un passionnant documentaire revient sur l’histoire des réformés et leur influence sur la vie sociale et politique (dimanche 24 avril, à 22 h 25, sur France 5).
Mercredi 13 avril, le président Hollande a reçu à l’Elysée une délégation de plus de trois cents protestants. « Une première pour le protestantisme français », à en croire le pasteur François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France (FPF). Ce mini-sommet entre le protestantisme et la République, axé sur l’engagement social, ne doit pas surprendre sur le fond. Outre l’Armée du salut, mouvement international protestant ancré sur le terrain dans la lutte contre la grande pauvreté, la Cimade, très engagée sur la question des migrations, est née de l’énergie déployée par une théologienne luthérienne, Suzanne de Dietrich, et sa première présidente en mars 1940 fut Jane Pannier, dont l’époux était pasteur.
Mais, malgré ces combats civiques, d’une efficacité notable, l’action des protestants en France reste peu visible. Sans doute en raison de la discrétion qui est au cœur de leur éthique. Dès lors qu’il n’y a pas de hiérarchie entre les humains et que le dialogue direct avec Dieu dispense de comparaison, la vanité et l’ostentation sont des péchés majeurs qu’on ne déjoue que par l’humilité et la réserve.
Rien d’étonnant alors à ce que, dans le cadre d’une série que France 5 propose sur les composantes de la société française depuis 2010, les protestants ne soient que le quatrième rendez-vous, après les musulmans, les Noirs et les Asiatiques. C’est pourtant la communauté la plus anciennement persécutée. Celle dont la mémoire fascine et dérange le plus. Parce qu’elle est la trace d’une intolérance religieuse ancienne et persistante ; parce que les fondements de la modernité, la liberté de pensée et de parole, l’idéal de laïcité au cœur du modèle républicain en sont les fruits cachés. Tout est affaire d’éthique. Et d’image.
S’affranchir des conventions
Depuis les guerres de religion du XVIe siècle, malgré la trêve inouïe qui vit un Etat reconnaître la coexistence de deux fois concurrentes, de l’édit de Nantes (1598) à sa révocation (1685), les protestants sont unis par la mémoire de la persécution (on regrette que le documentaire reprenne la fable d’une Catherine de Médicis commanditaire du massacre de Paris), comme par la fidélité à une éthique de l’intime et de la rigueur sans faille. Au risque de l’invisibilité, mais c’est sans doute autant le choix de la prudence que celui du refus du pittoresque et du divertissement. Théodore de Bèze, Sully, Guizot jadis, Gabriel Monod, Jean Zay naguère, Louis Mermaz, Pierre Joxe ou Michel Rocard plus récemment, l’homme protestant, peu expansif et raisonneur, passe pour un modèle de rigueur, de droiture et d’honnêteté.
On le dit austère, docte et pertinent souvent. Comme si la lecture assidue de la Bible et la force des commandements divins garantissaient une liberté de jugement et un affranchissement des conventions admises.
Le parcours évoqué par Valérie Manns ne dément pas ce portrait. Mais il met en perspective une double tentation. Celle de la résistance, face aux dragonnades du Roi-Soleil, du repli au Désert pour les uns à l’exil des élites qui permit de créer un réseau de solidarité aux dimensions internationales ; celle de la dissolution dans une entité nationale quand l’apprentissage de la pluralité le permet. Victimes d’une violence d’Etat dont la mémoire perdure, les protestants d’aujourd’hui risquent l’invisibilité à l’heure où leurs valeurs ont largement contribué à construire la République. Il n’est que justice qu’on les invite à l’Elysée.
Protestants de France, de Valérie Manns (Fr., 2015, 2 x 55 min, 1/2). Dimanche 24 avril, à 22 h 25, sur France 5.