Le bayou sinistré
Le bayou sinistré
Par Jacques Mandelbaum
Benh Zeitlin, 30 ans, débutant surdoué, livre une version contemporaine du « Radeau de la Méduse » (mercredi 27 avril, à 22 h 55, sur France 4).
Quvenzhané Wallis et Dwight Henry. | Jess Pinkham/ARP Selection
Benh Zeitlin, 30 ans, débutant surdoué, livre une version contemporaine du « Radeau de la Méduse » (mercredi 27 avril, à 22 h 55, sur France 4).
Modeste production indépendante, Les Bêtes du Sud sauvage, de l’Américain Benh Zeitlin, fit forte impression lors de ses premières projections publiques en 2012. Avant elles, le film, caractérisé par une veine sociale (les déshérités de Louisiane) et poétique (le lyrisme fantastique du sud des Etats-Unis), fut même plus ou moins implicitement annoncé comme un objet rimbaldien. Les Bêtes du Sud sauvage reçut enfin le Grand Prix du jury au Sundance Film Festival et le prix de la Caméra d’or au Festival de Cannes.
La vision de l’œuvre suscite des réserves, en dépit d’incontestables réussites. On ne peut qu’admirer la démarche d’un auteur qui, sous le coup du cataclysme écologique et social déclenché par l’ouragan Katrina, en Louisiane, en 2005, décide de vivre sur place, de monter le financement de son film contre vents et marées, puis de faire interpréter et travailler le récit (scénarisé d’après la pièce de théâtre écrite par son amie d’enfance Lucy Alibar) par des autochtones, non professionnels. On ne peut davantage se désolidariser d’une démarche qui fait le choix courageux d’une trame narrative ultraminimaliste pour mieux travailler l’atmosphère, la picturalité, le geste artistique.
L’histoire, en l’occurrence toute simple, mais d’une puissance mélodramatique assurée, est celle d’une fillette de 6 ans au caractère bien trempé, nommée Hushpuppy. Houspillée par la vie, déracinée par un désastre climatique qui est en train de s’abattre sur toute la population du bayou, ce petit bout de chou, orpheline de mère, tente de sauver son père, malade et saisi d’accès de violence éthylique, de la déchéance dans laquelle il est en train de plonger.
Un lyrisme romantique
Version contemporaine du Radeau de la Méduse, de Géricault, Les Bêtes du Sud sauvage déploie un lyrisme romantique qui fait jouer, en caméra portée et en gros plans, des visions d’apocalypse dignes de la démesure biblique, des prises documentaires exaltant la beauté sinistrée du bayou, des scènes pathétiques qui exaltent la capacité de résistance et la dignité humaines dont sont susceptibles de faire preuve les damnés de la terre.
Le propos comme la manière sont donc extrêmement ambitieux, et le film, qui éblouit trop souvent, manque sur la durée des moyens de se porter à une telle hauteur. Les faiblesses du récit, la maladresse de certaines scènes, l’incarnation parfois déficiente des personnages accusent l’ostentation d’un geste de mise en scène qui confine au maniérisme. Un sentiment un peu déplaisant s’agissant d’un tel sujet.
Les Bêtes du Sud sauvage, de Benh Zeitlin. Avec Quvenzhané Wallis, Dwight Henry (EU, 2012, 92 min). Mercredi 27 avril, à 22 h 55, sur France 4.