On n’arrête pas le progrès. La seconde division du championnat de France de football, qu’on appelait jusqu’ici bêtement la Ligue 2, s’appellera dorénavant la « Domino’s Ligue 2 », puisque la Ligue de football professionnel (LFP) a conclu un partenariat avec l’entreprise américaine Domino’s Pizza pour les quatre prochaines saisons (2016-2020).

Ainsi, dès l’été prochain, spectateurs et téléspectateurs de L2 goberont-ils de la Domino’s Pizza à toutes les sauces : le logo s’affichera sur le maillot de chaque joueur de chaque équipe, de courts spots publicitaires (« billboards ») seront diffusés avant les rencontres, la marque sera visible sur les panneaux derrière les joueurs lors des interviews d’après-match, sur la page Facebook et la chaîne YouTube de la LFP, etc.

La pratique du « naming » dans le monde du sport, consistant pour le propriétaire d’un stade, d’une équipe, ou d’une compétition, à en céder le nom à une marque commerciale ­contre de l’argent, n’a rien de nouveau. Elle est très largement répandue aux Etats-Unis, et la France y succombe doucement — la transformation du Palais omnisports de Paris-Bercy en AccorHotels Arena, en octobre 2015, en est l’exemple le plus récent et le plus frappant.

On peut en revanche être surpris par la marque pour laquelle a opté la Ligue 2. Outre qu’on a connu plus chic, on a surtout connu plus sain, et l’on se demande s’il va falloir broder en tout petit, sous le logo Domino’s qui ornera le maillot des joueurs, la fameuse injonction à « manger cinq fruits et légumes par jour », qui autorise à vendre n’importe quelle victuaille sans être accusé de contribuer au cholestérol des Français.

Cela dit, Frédéric Thiriez, président démissionnaire de la LFP, dont ce partenariat de prestige restera donc l’ultime coup d’éclat, n’a aucun scrupule à avoir. Au contraire, grâce à lui, la Ligue 2 rivalise désormais avec la Fédération française de football (FFF) et son mariage avec Kentucky Fried Chicken (KFC), qui permet depuis 2014 aux joueurs de l’équipe de France de faire la retape de ce fast-food américain débitant du pilon de poulet frit à la tonne.

De gauche à droite : Christophe Jallet, Bacary Sagna, Dimitri Payet, Rémi Cabella, Hugo Lloris. Et au milieu, plein de poulet frit. | DR / KFC

C’est ainsi : le football français se fait aujourd’hui le chantre de la junk food américaine, et s’engouffre avec bonheur — ces contrats rapportent, selon L’Equipe, 1,3 million d’euros par an à la LFP, et 34 à la FFF — dans le sillon tracé par la FIFA et le CIO, qui ont mis depuis longtemps la Coupe du monde et les Jeux olympiques au service de la santé et de la gastronomie mondiales, avec Coca-Cola et McDonald’s comme principaux sponsors.

Une société ne doit vraiment pas avoir peur de la contradiction, et doit même souffrir d’une forme de schizophrénie, pour s’alarmer de la progression de l’obésité tout en laissant le spectacle sportif promouvoir une alimentation qui la favorise.

On parle ici de l’OM, qui choisit Quick comme sponsor, du PSG, qui lance sa propre marque de chips, ou d’une salle que l’on baptise Kindarena (à Rouen), l’absurdité et l’hypocrisie atteignant des sommets avec la Jupiler League ou la Liga Sagres, les premières divisons de football en Belgique et au Portugal, qui se sont carrément vendues à des marques de bière. Le sport, c’est la santé ? Pour ceux qui en font, sans doute. Pour ceux qui le regardent, pas sûr.