La présidente du parti d'extrême droite allemand AfD, Frauke Petry. | Michael Sohn / AP

Bouleversement politique outre-Rhin : le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (Alternative für Deutschland, AfD) a réalisé un score sans précédent dimanche 13 mars, lors d’élections régionales organisées dans trois Länder. Nele Wissmann, chercheuse au Comité d’étude des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Institut français des relations internationales, commente ces résultats.

Comment analysez-vous les résultats de dimanche ? Traduisent-ils une nette percée de l’extrême droite dans l’électorat allemand ?

Nele Wissmann : Il y a deux manières de lire ces élections. C’est en effet une percée de l’extrême droite car les grands partis, comme les chrétiens-démocrates du CDU ainsi que les sociaux-démocrates du SPD, ont perdu beaucoup de points, tandis que l’AfD en a gagné dans les trois Länder.

Cette avancée a lieu non seulement en Allemagne de l’Est, où le parti était déjà représenté dans certains Parlements, notamment la Thuringe, la Saxe, le Brandebourg, mais aussi en Allemagne de l’Ouest, ce qui est complètement nouveau. Désormais, l’AfD est présent dans la moitié des seize Länder.

Mais il faut aussi noter que, malgré la crise des réfugiés, malgré le fait que beaucoup d’Allemands commencent à critiquer la politique d’Angela Merkel et de la grande coalition, les ministres-présidents sortants ont pu maintenir leur position dans les trois Länder, ce qui est exceptionnel.

Infographie Le Monde

Certes, les Verts, le SPD, la CDU ont perdu des points, et certains de leurs électeurs sont partis vers l’AfD. Mais surtout, autour de 40 % des personnes, qui normalement ne s’intéressent pas à la politique, sont allées voter dimanche pour l’AfD.

C’est donc un tout autre problème qui se pose : apparemment, la CDU, la SPD et les Verts n’arrivent plus à mobiliser. Il y a un certain désintérêt pour la politique en Allemagne, mais quand un parti comme l’AfD critique le système, dit que les autres partis mènent une politique désastreuse, il parvient à mobiliser.

La crise des réfugiés peut-elle expliquer, à elle seule, que des personnes qui ne votaient pas se soient déplacées pour protester ?

L’AfD n’a pas de programme. Les gens, qui ont voté dimanche pour lui, ne l’ont pas fait pour un programme, mais pour donner une leçon aux autres partis.

Dans les enquêtes, il apparaît que les personnes qui ont voté pour la CDU, le SPD, les Verts, ont toutes dit que les sujets qui les intéressaient étaient les questions économiques, de justice sociale, etc., c’est-à-dire les grands sujets qui sont traités dans les parlements régionaux.

En revanche, les électeurs de l’AfD ont déclaré que leur grand sujet de préoccupation était la crise des réfugiés. Et toute la campagne électorale du parti a joué avec les peurs des Allemands, grâce à un discours de type : « Vous voyez très bien que ça ne marche pas, que l’intégration est compliquée, qu’il y a de plus en plus de personnes qui arrivent. »

Peut-on déjà parler de recomposition du paysage politique allemand ?

Si l’AfD connaît un vrai succès aujourd’hui, c’est notamment dû au fait que la CDU se situe beaucoup plus à gauche qu’auparavant. C’est un parti de centre, ce qui peut être problématique dans le paysage politique, car cela signifie qu’il n’y a plus de vrai parti conservateur.

C’est d’ailleurs pourquoi l’AfD a choisi comme nom « Alternative pour l’Allemagne », une façon de dire aux électeurs : « Regardez, il y a quelque chose d’autre. »

Le succès de l’AfD va compliquer la formation des coalitions dans les Länder. Alors qu’on avait jusqu’ici deux coalitions « rouge-verte » en Rhénanie-Palatinat et Bade-Wurtenberg, il va falloir trouver d’autres formats.

Il y aura la CDU avec peut-être les Verts et le FDP, les libéraux, dont c’est d’ailleurs le grand retour. Ou alors la CDU, le SPD et le FDP… Cela va être très compliqué !

L’AfD a réussi à changer complètement l’architecture du système politique et complique la vie des autres partis. Ses élus vont rester dans l’opposition, car ils ne veulent pas travailler avec les autres, mais ils compliquent le travail politique des partis qui ne peuvent plus former des coalitions comme avant.

Maintenant, il faut voir si l’AfD va passer le seuil de 5 % pour rentrer au Bundestag [le Parlement fédéral allemand], en octobre 2017. Ce serait une première dans l’histoire de l’Allemagne fédérale, et un grand tournant pour le pays.

Comment définir l’AfD politiquement ? Est-ce un parti proche, par exemple, du Front national en France ?

Dimanche soir encore, la présidente du parti, Frauke Petry, a répété que son parti n’était pas d’extrême droite mais centre-conservateur, qu’il représentait tous ceux qui ne veulent plus voter pour les anciens partis. Mais c’est un jeu. Elle sait très bien que les Allemands sont vaccinés et ne voteraient jamais pour un parti qui se dit d’extrême droite.

Des membres de ce parti sont vraiment d’extrême droite, on ne peut pas le dire autrement. Quelques personnes sont par exemple très liées au mouvement islamophobe Pegida, participent à leurs manifestations.

Frauke Petry laisse faire. Elle-même a tenu des propos très polémiques en demandant s’il ne fallait pas utiliser des armes à feu aux frontières pour éviter que les réfugiés entrent.

Le parti tient le même discours que le Front national en France, qui s’est d’ailleurs félicité du grand succès de l’AfD en Allemagne. De même, au moment des régionales en France, des membres de l’AfD ont félicité Marine Le Pen pour ses résultats.