Selon la préfecture, plus de 1 600 migrants du camp de Stalingrad, à Paris, ont été évacués et "mis à l'abri" dans des centres d'hébergement. | GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Le bus roule, loin de Paris. Vers quelle destination ? Les passagers ne le savent pas encore. Ils ont embarqué un peu plus tôt, encadrés par les forces de l’ordre, lors de l’évacuation du campement de migrants de la station de métro Stalingrad, à Paris. D’autres ont été déposés à La Boulangerie, un centre d’hébergement pour sans-abri du nord de la capitale. D’autres, encore, ont été laissés par le chauffeur à une sortie d’autoroute près de Melun avant d’être récupérés par la brigade autoroutière, et finalement déposés dans un centre d’hébergement Adoma à Pierrefitte-lès-Bois, dans le Loiret.

Pour la troisième fois, après les 7 et 30 mars, le camp de Stalingrad a été évacué, lundi 2 mai. Selon la préfecture, 1 615 personnes ont été « mises à l’abri » et acheminées vers des centres d’hébergement, essentiellement en Ile-de-France. Depuis le 2 juin, il s’agit de la vingtième « opération » de ce type à Paris. Le collectif La Chapelle debout ! a lui recensé une trentaine de démantèlements de campements au cours de la même période. « Nous comptabilisons toutes les évacuations et pas seulement celles qui ont donné lieu à des propositions de relogement », explique Houssam El Assimi, du collectif.

La caserne de Château-Landon, le jardin d’Eole, la halle Pajol, le parvis de la mairie du 18e arrondissement, Stalingrad… Ces camps, majoritairement occupés par des primo-arrivants afghans, érythréens ou soudanais et par des migrants venus de Calais depuis le démantèlement de la jungle en mars, ont gagné en visibilité ces derniers mois.

Pas de camp, pas d’hébergement

« Le démantèlement du campement de la Chapelle [en juin] a provoqué une réaction citoyenne, estime Valérie Thomas, membre du collectif du collectif de soutien aux migrants d’Austerlitz des 5e et 13e arrondissements. Quelque chose a changé, il y a eu une prise de conscience de l’importance de rendre ces migrants visibles. » La Chapelle debout ! voit dans les camps un « instrument de lutte » ; France terre d’asile parle de la « stratégie » des migrants qui « ont compris qu’être visibles dans l’espace public parisien permettait d’entrer dans des dispositifs d’hébergement ». « S’il n’y a pas de campement, il n’y a pas d’évacuation et pas de proposition de relogement », résume Laurent, un membre du Collectif parisien de soutien aux exilé.e.s., qui tient à rester anonyme.

Au total, la préfecture affirme avoir proposé plus de 8 000 offres d’hébergement depuis le 2 juin. Un chiffre là aussi nuancé par plusieurs collectifs. « Il s’agit bien de places et pas de migrants, précise Houssam El Assimi. Des personnes se sont vues proposer un hébergement à quatre ou cinq reprises. »

Surtout, ce chiffre masque des propositions inégales en termes d’accueil, d’accès à des cours de français, à des repas, aux soins. Après la deuxième évacuation du camp de Stalingrad, des migrants se sont retrouvés près de la frontière espagnole et sont rentrés à Paris à pied. D’autres sont revenus de Normandie en bus. « Des demandeurs d’asile ont été envoyés loin de Paris alors qu’ils avaient entamé leurs démarches administratives ici, avaient commencé à faire leur vie, à se constituer leur réseau », observe Laurent.

Les collectifs de soutien dénoncent aussi des solutions qui installent ces migrants dans la précarité. Des demandeurs d’asile qui passent des mois dans des centres d’hébergement d’urgence, ouverts uniquement la journée, où leur dossier n’avance pas ; des femmes et des enfants trimballés d’hôtel social en hôtel social, sans ticket restaurant ni titre de transport… « On fabrique des sans-papiers et des clandestins, regrette Valérie Thomas. Quand vous avez passé des mois dans un campement, puis des mois en hébergement d’urgence sans accompagnement, pour finalement voir votre demande d’asile refusée [en 2015, moins de 33 % des réponses de l’Office français de protection des apatrides ont été positives], qu’est-ce que vous pouvez faire ? »

Une solidarité régionale

A l’origine du problème, des procédures trop longues et des centres d’accueil de demandeurs d’asile saturés, rappelle aussi Valérie Thomas. « L’angle mort de ce phénomène, c’est qu’il n’y a pas de politique d’accueil adaptée en France », insiste-t-elle. 

Pour mettre un terme à ces évacuations à répétition, les acteurs de terrain souhaitent la mise en place de centres d’accueil pour les primo-arrivants, où ils pourraient être nourris, logés et entamer leurs démarches administratives. Pierre Henry, directeur de France terre d’asile, prône la création de centres de transit dans chaque capitale régionale pour une répartition des demandeurs d’asile sur l’ensemble du territoire, alors que la région parisienne est saturée.

« Il faut une véritable solidarité régionale, une gestion commune au niveau de l’Etat, une mise en commun des moyens. Devant l’urgence et la visibilité politique de ces populations, on finit par mettre en place ces grandes opérations d’évacuation et d’hébergement. Il faut sortir de l’empire de l’urgence, construire un dispositif qui donne plus de cohérence et de visibilité aux uns et aux autres. On peut continuer comme ça, mais cela épuise tout le monde. »

Pour Valérie Osouf, membre de La Chapelle debout !, c’est une évidence, un nouveau camp verra le jour, dans quelques semaines. Comme lors de chaque évacuation, des dizaines de personnes ont été laissées sur le carreau lundi, sans proposition d’hébergement. « Ils sont déjà une cinquantaine dans la rue, racontait-elle en début d’après-midi. Dans les prochaines semaines, la répression policière va être importante pour empêcher une nouvelle installation. Puis un jour il y aura un nombre suffisant de migrants et de soutiens pour faire front à la police, et le campement tiendra. Il grossira et quand les migrants seront entre 500 et 600, il sera évacué. »