Non, le turc n’est pas devenu une langue officielle de l’Union européenne
Non, le turc n’est pas devenu une langue officielle de l’Union européenne
Par Adrien Sénécat
Le turc pourrait devenir une langue officielle européenne, signe d’une prochaine entrée de la Turquie dans l’union, selon des sites d’extrême droite. Une analyse qui ne résiste pas aux faits.
Le turc est, serait, ou sera bientôt (c’est selon) « la langue officielle de l’Union européenne [UE] » , ont écrit plusieurs sites d’extrême droite ces derniers jours. Le site « Dreuz. info » croit ainsi savoir que cela « rapproche la nation islamique de l’échéance finale d’admission comme pays membre de l’Union européenne. » Du côté des « moutons enragés », on dénonce un « cheval de Troie » pour faire rentrer la Turquie dans l’UE.
Plusieurs sites d'extrême droite, repris dans la partie « actualités » de Google, affirment que le turc est devenu « langue officielle de l'Union européenne ». | Google
Ces sites d’extrême droite français reprennent la thèse développée par le tabloïd conservateur britannique express.co.uk, qui soutient ouvertement les eurosceptiques britanniques de UKIP, y compris financièrement dans le cas du propriétaire du média. Le journal écrit qu’il s’agit d’un vote des députés européens, qui doit désormais être ratifié par la Commission européenne, mais que cette issue ne ferait aucun doute à cause des « pressions de Chypre et de la Turquie ».
Ce vote a également été dénoncé par l’eurodéputé FN Gilles Lebreton :
Sidérant : le Parlement européen propose que le #turc devienne une langue officielle de l'UE ! = Bientôt un croissant sur son drapeau ?
— Gilles_Lebreton (@Gilles Lebreton)
POURQUOI C’EST FAUX
Cette théorie fait en fait référence à une résolution adoptée jeudi 14 avril par les députés européens sur la situation en Turquie (375 voix pour, 133 contre, 87 abstentions), un peu mois après l’accord entre l’UE et Ankara pour tenter de résoudre la crise des migrants. Il évoque notamment les relations entre l’Europe et la Turquie, avec une partie dédiée à la coopération face à la situation des réfugiés, mais aussi des sujets internes comme l’état des libertés individuelles dans le pays.
La dernière des cinq parties traîte des « progrès des discussions sur la réunification de Chypre ». C’est là qu’on trouve le passage récupéré depuis par l’extrême droite : « Le parlement européen accueille favorablement l’initiative du président chypriote Nicos Anastasiades de faire du turc une langue officielle de l’UE et appelle à accélérer ce processus. »
Première remarque : il est question de faire du turc l’une des 24 langues officielles de l’union européenne (et pas « la » langue, comme on pourrait le croire à la lecture de certains titres). Ce qui a des conséquences concrètes : par exemple, les documents parlementaires sont publiés dans toutes les langues officielles et chaque député européen peut s’exprimer au parlement dans celle de son choix.
Dans la perspective d’une possible réunification de Chypre et de l’intégration des Chypriotes turcs dans l’UE, cela faciliterait l’accès de ces derniers aux informations sur les instances européennes.
La mesure n’a pas été adoptée
Comme le précise express.co.uk, le vote des députés ne suffit pas à faire du turc une langue officielle. Voici ce que dit le site de la Commission européenne à ce sujet : « Le Conseil de l’UE, au sein duquel tous les États membres de l’Union sont représentés, prend des décisions à l’unanimité à ce sujet. (…) Tout changement (…) que ce soit l’ajout ou la suppression d’une langue officielle, doit être approuvé à l’unanimité par tous les États membres au sein du Conseil. »
Mais contrairement à ce qu’on peut lire sur les sites d’extrême droite, cette décision est loin d’être acquise. Selon Euractiv, la Bulgarie, qui possède une forte minorité turque, pourrait y opposer son veto. Ce qui bloquerait l’ajout du turc à la liste des langues officielles de l’UE.
Un texte critique vis-à-vis de la Turquie
Enfin, ceux qui se servent de cette résolution pour prédire une entrée imminente de la Turquie dans l’Union européenne occultent le reste de la résolution, qui est loin d’être tendre à l’égard d’Ankara. Le premier des 52 points abordés dit par exemple que « dans certains domaines clés, comme l’indépendance de la justice, la liberté de réunion, la liberté d’expression et le respect des droits humains et de la loi, il y a eu une régression qui éloigne de plus en plus [la Turquie] des critères de Copenhague [pour l’adhésion à l’Union européenne] ».
« De manière générale, la Turquie s’éloigne de plus en plus du respect des normes européennes. », renchérit la députée démocrate-socialiste néerlandaise à l’origine du rapport, Kati Piri, sur le site du parlement européen. Elle ajoute que « Le Parlement se montre unanime sur le fait que la coopération sur la question de l’immigration ne devrait pas être liée à l’adhésion ».
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, n’a d’ailleurs pas vraiment apprécié ce texte qu’il a qualifié mardi 19 avril de « provocateur ». Son ministre des affaires européennes, Volkan Bozkir, l’a également jugé « nul et non avenu ». Pas vraiment un « cheval de Troie » turc, donc.