Paradis fiscaux : la Banque mondiale réfute les accusations d’Oxfam
Paradis fiscaux : la Banque mondiale réfute les accusations d’Oxfam
Par Raoul Mbog
Selon l’Ong britannique, 80 % des prêts accordés à des entreprises investissant en Afrique par la Société financière internationale, filiale de la Banque mondiale, transiteraient par des paradis fiscaux.
Le siège de la Banque mondiale à Washington. | Wikimedia Commons
Les dirigeants de la Banque mondiale pourront difficilement éviter d’aborder le scandale des « Panama papers » sur le système offshore lors de leurs assemblées de printemps qui se sont ouvertes vendredi 15 avril à Washington, conjointement avec le Fonds monétaire international (FMI). Ils pourront encore moins faire l’impasse sur le récent rapport d’Oxfam, une ONG britannique de lutte contre les injustices et la pauvreté, sur la responsabilité des institutions financières dans la lutte contre l’évasion fiscale.
Selon l’étude publiée lundi 11 avril, 51 entreprises (les noms n’ont pas été cités) sur les 68 ayant reçu des prêts de la Banque mondiale- destinés au financement de projets de développement en Afrique subsaharienne ont fait transiter cet argent par des places financières considérées comme des paradis fiscaux, à l’instar de l’île Maurice.
« La transparence est un outil crucial »
De quoi s’agit-il ? L’ONG Oxfam explique que ces entreprises ont reçu plus de 80 % des 2,87 milliards de dollars octroyés pour l’Afrique sub-saharienne en 2015 par la Société financière internationale (SFI), la branche de la Banque mondiale qui accorde des prêts aux compagnies privées. Selon le rapport de l’ONG, ces entreprises auraient ensuite utilisé des « intermédiaires financiers opaques » afin de transformer les prêts reçus en investissement étranger direct, de manière à pouvoir bénéficier d’allégements fiscaux dans les pays où elles sont censées investir.
Un contenu de cette page n'est pas adapté au format mobile
« Il est toujours très compliqué de prouver l’évasion fiscale. Notre idée est de donner l’alerte et de rappeler à la Banque mondiale sa responsabilité et son obligation de cohérence. Ces sommes qui transitent ainsi par des places offshore sont autant de recettes fiscales en moins pour les pays en développement dont ils ont pourtant besoin dans leur lutte contre la pauvreté et les inégalités et pour investir dans les infrastructures et les services publics », souligne Manon Aubry, conseillère spécialiste des questions d’évasion fiscale et de paradis fiscaux à Oxfam France. Les pays pauvres perdraient annuellement 170 milliards de dollars en raison de l’évasion fiscale, selon une évaluation du FMI. La faiblesse des recettes fiscales constitue un des grandes fragilités des Etats africains.
Oxfam appelle donc à plus de vigilance et de transparence et suggère à la Banque mondiale de mettre en place des politiques de contrôle afin d’éviter que les entreprises bénéficiaires de prêts de la SFI fassent passer ces fonds par des places offshore. « La transparence est un outil crucial si la Banque mondiale veut éviter tout impact négatif sur ses projets de développement, ajoute Manon Aubry qui s’étonne que ce problème ne soit pas davantage pris en compte par la Banque mondiale. Or elle brasse des sommes importantes sans véritables garde-fous. »
« Utilisation appropriée de centres financiers offshore »
Ces révélations, d’une ampleur sans précédent, sont vivement contestées par l’institution financière. « L’analyse d’Oxfam en ce qui concerne les projets de la SFI est erronée. Nous exigeons systématiquement que les entreprises dans lesquelles la société investit soient choisies pour des raisons légitimes et pas pour de l’évasion fiscale », a expliqué au Monde Afrique Frederick Jones, porte-parole de la SFI.
Pour le représentant du bras financier de la Banque mondiale, « le rapport implique que toutes les juridictions offshore ou les centres financiers offshore sont des paradis fiscaux par le simple fait d’être offshore et que les investissements dans les entreprises multinationales conduisent nécessairement à de l’évasion fiscale, ce qui n’est pas vrai ». M. Jones soutient fermement l’idée que « l’utilisation appropriée des centres financiers offshore peut permettre de mobiliser davantage de capitaux privés pour des investissements qui aident les personnes les plus pauvres ».
C’est également le point de vue de Laureen Kouassi-Olsson, la directrice pour l’Afrique centrale et de l’Ouest d’Amethys Finance, une société de capital-investissement entièrement dédiée à l’Afrique : « Il ne faut pas diaboliser toutes les places financières ni tous ceux qui seraient tentés de bénéficier des mécanismes qu’elles offrent. Nous sommes dans un univers de haute compétition. Il est surtout urgent pour les pays d’optimiser leur environnement des affaires en rendant leurs mécanismes fiscaux plus attractifs », estime la financière, dont l’agence travaille principalement avec des partenaires institutionnels basés sur le continent.
Mais, pour Susana Ruiz, conseillère en politique fiscale auprès de l’ONG Oxfam, « le vrai scandale, c’est que bon nombre des cas découverts ne sont pas toujours illégaux, mais résultent plutôt de pratiques juridiques qui, impitoyablement, abusent d’une fiscalité faible et insuffisante. Une réelle volonté politique est nécessaire et urgente pour combler ces lacunes ».