Primaires américaines : le cas Trump divise le Parti républicain
Primaires américaines : guerre de tranchées au Parti républicain
Par Gilles Paris (Washington, correspondant)
Une partie des républicains s’oppose farouchement à la candidature du milliardaire Donald Trump.
Donald Trump à West Allis dans le Wisconsin le 3 avril 2016. | CHARLES REX ARBOGAST / AP
Un scénario catastrophe est en train de se mettre inexorablement en place dans la course à l’investiture républicaine. Le scénario d’une lutte sans pitié qui ferait de la convention de Cleveland, en juillet, un théâtre d’ombres propice aux arrangements d’appareils et aux coups de poignard dans le dos. Un chiffre hante les trois derniers candidats encore en lice ainsi que la direction républicaine : 1 237. Il s’agit du nombre minimum de délégués requis pour obtenir l’adoubement du Grand Old Party. Ce seuil pourrait rester hors d’atteinte pour le favori, Donald Trump, comme pour Ted Cruz, son rival le plus menaçant, pour ne pas parler de John Kasich, déjà très à la traîne.
A ce point de la course des primaires, John McCain s’était déjà imposé en 2008. Quatre ans plus tard, Mitt Romney avait pris définitivement l’ascendant sur son dernier adversaire, Rick Santorum, qui allait renoncer le 10 avril. Si M. Cruz l’emporte mardi 5 avril dans le Wisconsin, comme semblent l’annoncer les résultats convergents de plusieurs instituts de sondage, ce succès incitera le sénateur du Texas à poursuivre la lutte. Il privera par ailleurs M. Trump de délégués précieux, même si le magnat de l’immobilier est en revanche bien placé pour les prochaines étapes à venir, dans l’Etat de New York, le 19 avril, et dans le Connecticut, le Delaware, le Maryland, la Pennsylvanie et Rhode Island, une semaine plus tard.
Des sorties hasardeuses
Le milliardaire n’est pas pour rien dans la prolongation de cette bataille de tranchées. Au cours des deux dernières semaines, il a multiplié tout d’abord les propos désobligeants visant l’épouse du sénateur du Texas, Heidi Cruz, défendu son directeur de campagne pourtant poursuivi pour voie de fait contre une journaliste, puis prôné une « punition » pour les femmes qui auraient recours à un avortement s’il était déclaré illégal, avant de se rétracter. En matière de politique étrangère, pendant la même période, M. Trump s’est également hasardé à recommander à la Corée du Sud et au Japon de se doter de l’arme nucléaire, avant de refuser d’exclure son usage tactique en Europe.
Cette série de sorties hasardeuses, alors que les républicains attendaient que M. Trump se montre rassembleur et présidentiel, a renforcé ceux qui, au sein du Grand Old Party, s’opposent viscéralement à la perspective de sa nomination. Ces derniers sont convaincus, à la lecture des mesures d’intentions de vote, que M. Trump essuiera une cuisante défaite en novembre à la présidentielle face au candidat démocrate, qu’il s’agisse de la favorite, Hillary Clinton, ou même de son adversaire Bernie Sanders. Ils estiment en outre que ce revers aura des conséquences également négatives pour les républicains sur le renouvellement de la Chambre des représentants et encore plus pour les élections sénatoriales, compte tenu de la fragilité de la majorité républicaine.
Candidature indépendante
Avec actuellement 735 délégués et alors qu’il n’en reste plus que 848 en jeu, M. Trump doit en remporter près de 60 % pour atteindre la marque fatidique. Du fait du faible nombre d’Etats à venir qui observent la règle du « winner-take-all » (le gagnant remportant tous les délégués), cette perspective relève de la gageure, même si M. Cruz doit pour sa part en obtenir plus de 90 %, ce qui est d’ores et déjà impossible. Pour le sénateur du Texas comme pour le gouverneur de l’Ohio, M. Kasich, la priorité est donc bien d’empêcher le milliardaire d’obtenir un nombre suffisant de délégués pour espérer rebattre les cartes à l’occasion d’une convention « ouverte » ou « négociée » (« brokered »). « Ce serait très cool », a assuré le gouverneur, dimanche 3 avril, sur ABC.
Leur calcul est simple. Si M. Trump n’est pas en mesure d’obtenir 1 237 voix lors du premier tour au cours duquel les délégués sont strictement tenus de voter pour leur candidat, de nouveaux scrutins permettront de faire émerger ultérieurement une alternative. La course aux délégués a d’ailleurs déjà commencé dans les Etats qui ont déjà voté et fait l’objet de sourdes batailles. L’équipe de campagne du milliardaire conteste ainsi des nominations jugées défavorables en Louisiane et dans le Tennessee.
C’est pour cette raison que M. Trump entretient l’hypothèse d’une candidature indépendante, qui ruinerait les chances républicaines à la présidentielle, car il estime être désavantagé par la direction républicaine. Interrogé dimanche par Fox News, le responsable du parti, Reince Priebus, a estimé qu’il était techniquement possible, tout en le jugeant improbable, qu’un candidat nouveau émerge au cours de la convention, alors que le nom de l’actuel président (speaker) de la Chambre, Paul Ryan, est souvent évoqué. Une déclaration qui n’est pas de nature à rassurer le milliardaire.
Ecarter M. Trump lors de la convention de juillet n’est cependant pas sans risques. Selon un sondage de NBC, une nette majorité d’électeurs républicains (57 %) considère ainsi que le milliardaire devra être investi par le parti même s’il ne dispose pas du nombre de délégués requis, alors que seulement 27 % sont d’un avis contraire. Une partie non négligeable des électeurs qui préfèrent M. Cruz (31 %) et M. Kasich (24 %) se montre également légitimiste et considère que M. Trump sera le vainqueur moral de la course à l’investiture républicaine.
Une convention « ouverte » pourrait donc entretenir les divisions au lieu de les résoudre. Les républicains ont tous en tête le souvenir de la dernière en date qui avait opposé le président sortant Gerald Ford à Ronald Reagan et pour cause : elle avait été suivie par une défaite à la présidentielle.