Documentaire à 22 h 30 sur France 2

Les chefs cuisiniers Jean Troisgros, Paul Bocuse et Roger Vergé. | DR

Un documentaire retrace la manière dont une poignée de chefs cuisiniers ont bouleversé la gastronomie française (mardi 26 avril, à 22 h 30, sur France 2).

En 2012, un livre remarquable, Mémoires de chefs (Textuel), retraçait la saga de la dizaine de visionnaires – Paul Bocuse, Jean et Pierre Troisgros, Michel Guérard, Jacques Pic… – à l’origine du mouvement culinaire baptisé « nouvelle cuisine  », à l’orée des années 1970. Son auteur, Nicolas Chatenier, a, depuis, mis en images, avec l’aide du réalisateur Olivier Mille, ce bouleversement historique de la gastronomie française, dans un documentaire, La Révolution des chefs, tout aussi passionnant que l’ouvrage d’origine.

Pour ceux qui s’imaginent que l’aura médiatique des cuisiniers a toujours été au zénith, le film remet en perspective ce qu’était leur place jusque dans les années 1960. Cloîtrés devant leur piano, exécutants sans réel pouvoir de création, les chefs sont alors aux ordres de propriétaires, laissant la vedette aux maîtres d’hôtel et à la salle. Les cartes reflètent, à l’époque, un modèle culinaire très codifié, suivant des critères définis par Escoffier, laissant peu de place à l’initiative.

Dans les années 1950, quelques pionniers, tel Fernand Point, dans son restaurant La Pyramide, à Vienne, dans l’Isère, secouent les casseroles et forment les futurs novateurs, au premier rang desquels Paul Bocuse, appelé à devenir le leader charismatique de cette génération.

L’imagination libérée

Encouragés par le contexte économique des « trente glorieuses  », les jeunes chefs sortent des grandes maisons où ils étaient confinés pour s’installer à leur compte, libérer leur imagination et diversifier des styles à l’écoute des mutations sociales. La littérature a eu son Nouveau Roman, le cinéma sa Nouvelle Vague, l’art culinaire aura sa nouvelle cuisine, théorisée et médiatisée par les journalistes Henri Gault et Christian Millau.

En mélangeant des documents d’époque – qui mettent en scène la truculente mégalomanie de « Monsieur Paul  », ou ressuscitent des personnages trop tôt disparus, tels Jean Troisgros, Alain Chapel ou Jacques Pic – et des témoignages d’aujourd’hui, le documentaire souligne avec bonheur la dimension humaine de révolutionnaires, qui, comme le rappelle justement Michel Guérard, « n’engendraient pas la mélancolie  ».

Si on écoute avec intérêt les analyses d’héritiers tels qu’Alain Ducasse, Guy Savoy, Thierry Marx, Jean-François Piège ou Anne-Sophie Pic (qui retrace l’histoire de son père, Jacques Pic), la parole des anciens reste la plus réjouissante.

Pierre Troisgros n’a rien perdu d’une gouaille paysanne, idéale pour narrer les exploits français et internationaux de la « bande à Bocuse »

Figures historiques, Michel Guérard et Jean Troisgros nous régalent d’anecdotes et de réflexions. Chef toujours actif dans son havre trois étoiles des Prés d’Eugénie, à Eugénie-les-Bains (Landes), le premier apôtre de la « cuisine minceur  » conte avec une pétillante malice le parcours qui l’a mené des pâtisseries d’un palace parisien au bistrot de banlieue, Le Pot-au-Feu à Asnières (Hauts-de-Seine), qui a lancé sa carrière (grâce à un article dans Le Monde).

A la retraite depuis quelques années, Pierre Troisgros, qui, avec son frère, Jean, a fait la gloire du restaurant Troisgros, à Roanne (Loire), n’a rien perdu d’une gouaille paysanne, idéale pour narrer les exploits français et internationaux de la « bande à Bocuse  ».

Grand plaisir aussi de le voir cuisiner l’escalope de saumon à l’oseille, plat mythique de Roanne et de la nouvelle cuisine. L’une des forces de La Révolution des chefs est d’ailleurs de ne pas oublier la gourmandise. Que ce soit en filmant joliment des plats et des gestes de cuisiniers ou en écoutant le chef trois étoiles Pierre Gagnaire nous mettre l’eau à la bouche en se souvenant, comme si c’était hier, d’une terrine de lièvre cuisinée par Alain Chapel.

La Révolution des chefs, d’Olivier Mille et Nicolas Chatenier (Fr., 2016, 71 min). Mardi 26 avril, à 22 h 30, sur France 2