Denis Baupin, bosseur fou « sans charisme »
Denis Baupin, bosseur fou « sans charisme »
Par Cécile Bouanchaud
Accusé d’agressions sexuelles, le député écologiste, qui a fait des transports et de la transition énergétique ses sujets de prédilection, a démissionné de la vice-présidence de l’Assemblée.
Denis Baupin, à Nantes, le 18 septembre 2015. | JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP
Avec les accusations d’agressions sexuelles accablant Denis Baupin se dessine le portrait d’un homme discret, convoitant depuis de nombreuses années les hautes sphères de la politique française, mais resté jusqu’ici inconnu du grand public. Le député de la 10e circonscription de Paris, figure du mouvement écologiste, cumule pourtant les faits d’armes, notamment à Paris où il a réduit considérablement l’espace attribué aux voitures ; à l’échelle nationale aussi, où il s’est attaqué avec pugnacité à l’épineux dossier de l’abandon du nucléaire.
Jusqu’à ce que ces vingt-sept années d’une carrière politique sans accroc soient éclaboussées par une image de séducteur maladif, aux confins du harcèlement, de la menace et de l’abus de pouvoir. Une image dont personne n’avait fait écho publiquement, hormis une élue parisienne, qui avait glissé en 2006 que Denis Baupin « ne résistait pas à son envie de séduire », comme l’avait rapporté Libération dans ce portrait.
Centralien et antimilitariste
Denis Baupin est né à Cherbourg en 1962, dans une famille de la petite bourgeoisie normande. Rien ne le prédestinait à une carrière politique ancrée à gauche. Fils d’un expert-comptable éploré par l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981, le jeune Baupin s’est construit en opposition à ce modèle familial. D’abord sans faire de politique – contrairement à la plupart des dirigeants écologistes – mais en épousant les thèses antimilitaristes du début des années 1980. Pour éviter le service militaire, alors obligatoire, Denis Baupin choisit l’objection de conscience. A la même époque, il quitte Caen, direction Paris et la prestigieuse Ecole centrale.
Mais son éveil intellectuel s’opère loin des murs des salles de classe. Denis Baupin s’investit dans de nombreuses ONG, comme Amnesty International, où il découvre Gandhi, et s’alarme du sort des victimes des dictatures. En 1987, trois ans après la fin de ses études, il devient directeur de l’ONG Terre des hommes, qui milite principalement pour la défense des droits de l’enfant dans le monde.
Une bête de travail doublée d’un fin politique
C’est presque par hasard qu’il en vient à la politique, deux ans plus tard, après la lecture du programme de l’écologiste Antoine Waechter. « J’ai constaté que j’étais d’accord sur tout », a-t-il rapporté en 2006 à Libération. La même année, il s’encarte chez les Verts, avant d’être repéré un an plus tard par Dominique Voynet, qui le recrute à Bruxelles comme expert du tiers-monde. Déjà à l’époque, son image de bosseur acharné s’impose. « Quand je l’ai repéré, il avait manifestement du potentiel, c’était déjà un gros bosseur », se souvient Dominique Voynet, contactée par Le Monde.
Dominique Voynet, l’ancienne maire de Montreuil, le 10 avril 2013. | MIGUEL MEDINA / AFP
Denis Baupin la suivra en France, devenant son assistant pour la présidentielle de 1995, avant d’être son conseiller au cabinet du ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement. De ces dix années de collaboration, Dominique Voynet garde l’image d’une bête de travail doublée d’un fin politique :
« C’était simple de travailler avec lui. Il a toujours eu une tendance que je trouvais formidable à creuser les sujets tout en étant force de proposition. Il était attentif à chacun. C’était vraiment un plaisir. »
Monsieur embouteillages
Avec son regard aigu et son visage poupon, Denis Baupin inspire sérieux et confiance. C’est pour ces mêmes raisons que Bertrand Delanoë, le maire de Paris de l’époque, en a fait son adjoint aux transports. Nommé en 2001, l’élu écologiste restera dans les murs de l’hôtel de ville de Paris jusqu’au départ du maire socialiste en 2012. « C’est un partenaire auquel je tiens. Il peut être dérangeant, mais aussi attachant », résumait ainsi Bertrand Delanoë, interrogé par Le Monde en 2006. Ce dernier lui a accordé, durant ces dix années, un soutien indéfectible, malgré les vives critiques dont Denis Baupin faisait l’objet. Il faut dire que durant son mandat, l’élu, qui n’a jamais eu de voiture, a dynamité la politique des transports de la ville.
Bertrand Delanoë (à gauche) serre la main de Denis Baupin (à droite), à la suite de sa réélection à la mairie de Paris, en 2008. | JACQUES DEMARTHON / AFP
Les voies sur berges fermées à la circulation dès le premier été qui suit les municipales de 2001, c’est lui. La multiplication des couloirs de bus aménagés dans les rues parisiennes, encore lui. Les quartiers tranquilles qui ont poussé au cœur de Paris, toujours lui. Le tramway au sud de la capitale, c’est définitivement son œuvre. Sans oublier la mise en place du service de partage Vélib’ qui a conquis plusieurs centaines de milliers d’abonnés à Paris. Des mesures qui lui valent tout de même des qualificatifs peu flatteurs, comme « Khmer vert » ou encore « ayatollah anti-voitures ».
Mais Denis Baupin ne cille pas. Pressenti pour le ministère des transports en cas de victoire socialiste à la présidentielle de 2007, il attend son heure, qui ne viendra pas. Le monsieur « anti-bagnoles » de Bertrand Delanoë rempile pour un mandat à la mairie de Paris où il est nommé, cette fois, adjoint au développement durable et à l’environnement. Là, il œuvre sur le plan climat de la capitale, qui vise à réduire de 25 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020. Il met également en place l’Agence parisienne du climat, un service d’accompagnement des copropriétés qui souhaitent rénover leur logement.
« Sans charisme et sans générosité »
Denis Baupin quitte finalement l’exécutif parisien après les législatives de 2012, durant lesquels il a été élu député de la 10e circonscription de Paris, devenant du même coup le vice-président de l’Assemblée nationale, dirigée par le socialiste Claude Bartolone.
Malgré un bilan marqué par une myriade de mesures prises en faveur de l’écologie, Denis Baupin ne fait pas l’unanimité au sein de son parti, à cause de son côté « froid », « centralien ». Sergio Coronado, qui l’a côtoyé lorsqu’il était adjoint au maire du 14e arrondissement de Paris, évoquait un homme « sans charisme et sans générosité ». Plus récemment, on lui a reproché sa complaisance envers le gouvernement socialiste, et ses prises de position controversées.
En 2015, le député de Paris a notamment salué le travail de Ségolène Royal concernant la loi sur la transition énergétique. Son choix de voter la loi renseignement, comme celui d’approuver la réforme constitutionnelle, lui a créé de sérieuses difficultés au sein d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV). Le départ d’Emmanuelle Cosse – son épouse depuis juin 2015 – l’a convaincu de quitter le parti, le 18 avril 2016, après vingt-sept ans de cotisations.
Denis Baupin avait d’ailleurs commencé à préparer sa sortie. Le 9 avril, il a mis sur pied, au côté de sa femme, un club de réflexion avec pour objectif de permettre aux organisations politiques écologistes d’être « en capacité de peser, et non de régresser ». Alors que le parquet de Paris a ouvert mardi 10 mai une enquête préliminaire sur les accusations d’agressions sexuelles visant Denis Baupin, les ambitions politiques de ce dernier risquent de connaître un sérieux coup d’arrêt.