« D’où venez-vous ? »
« D’où venez-vous ? »
Par Alain Constant
Isabelle Boni-Claverie montre comment le passé colonial français conditionne toujours le regard des Blancs sur les Noirs (vendredi 13 mai à 23 h 15 sur Arte).
"Trop Noire pour être Française ?" Rediff le 13 mai 2016 sur ARTE
Durée : 01:36
Isabelle Boni-Claverie montre comment le passé colonial français conditionne toujours le regard des Blancs sur les Noirs.
C’est une fillette élevée bourgeoisement dans un grand appartement parisien de la très chic plaine Monceau. Elle fréquente une école catholique, passe des vacances en compagnie d’autres enfants issus de milieux favorisés. Sur une photo des années 1970, on la voit, ravissante, à bord d’un bateau, en compagnie d’un petit garçon blond qui deviendra roi des Pays-Bas.
Cette gamine est devenue réalisatrice et scénariste. Parcours finalement classique d’un rejeton de la bonne bourgeoisie ? Pas tout à fait. Car Isabelle Boni-Claverie, petite-fille d’Alphonse Boni, originaire de Côte d’Ivoire devenu magistrat de la République française dans les années 1930, fille d’une femme politique ivoirienne, est métisse. Et dans la France du XXIe siècle, avoir la peau noire n’est, visiblement, toujours pas anodin.
Isabelle Boni-Claverie, la réalisatrice de « Trop noire pour être française? », photographiée enfant à l’âge de 6 ans. | © Quark Production
Mêlant approche intimiste et témoignages d’historiens, de sociologues et de citoyens français noirs de peau, Isabelle Boni-Claverie livre un documentaire dans lequel il est question du regard des autres, d’incompréhensions et surtout de l’hypocrisie qui règne dans une société française où le passé colonial conditionne encore le regard des Blancs sur leurs compatriotes noirs.
« Une utilité sociale »
En France, les statistiques ethniques sont toujours proscrites, mais des spécialistes estiment à environ 5 % de la population le pourcentage de Noirs. Parmi eux, combien de députés, de médecins, d’avocats, de réalisateurs ? Isabelle Boni-Claverie explique : « Pour les gens d’origine africaine ou caribéenne, il y a ce présupposé que nous sommes étrangers, qu’il existe toujours un ailleurs qui ne nous permettrait pas d’être pleinement français. La question “d’où venez-vous ?” est récurrente. Cela interroge forcément les liens que nous entretenons avec notre pays », précise Isabelle Boni-Claverie.
TV5MONDE : Isabelle Boni-Claverie, "trop noire pour être française ?"
Durée : 10:23
La réalisatrice s’entretient aussi avec les membres de sa famille. Ses cousins blancs lui décrivent comment sa famille maternelle, originaire du Tarn, a vécu le mariage de sa grand-mère avec un Ivoirien. Né en 1909, son grand-père, Alphonse, avait été envoyé en France à 15 ans pour y suivre des études. C’est à la bibliothèque de la faculté de droit de Toulouse que le jeune étudiant tomba amoureux de Rose-Marie, originaire de Gaillac, petite commune où ils célébrèrent leur mariage, à la fin des années 1930. Un mariage qui fit sensation. Depuis, les idées reçues n’ont pas disparu. Comme l’explique l’historien Pap Ndiaye : « Si les stéréotypes perdurent, c’est parce que, d’une certaine manière, ils ont une utilité sociale. Ils servent à faire perdurer des formes d’inégalité qui conviennent à une partie de la société française. »
« Trop noire pour être Française ? » : entretien avec Pap Ndiaye
Durée : 03:04
Ancienne élève de la Fémis, l’école nationale supérieure de l’image et du son, Isabelle Boni-Claverie revient dans ces locaux. A l’époque, elle était la seule étudiante noire. Aujourd’hui, la situation n’a guère évolué. Et malgré les discours généreux, l’ascension sociale des Noirs n’est toujours pas une évidence. Ce documentaire rappelle cette réalité à travers un exemple atypique : celui d’une citoyenne française noire, issue d’un milieu socialement privilégié.
Trop noire pour être française ?, d’Isabelle Boni-Claverie (France, 2015, 55 min). Le vendredi 13 mai à 23 h 15 sur Arte. Rediffusion le samedi 25 juin à 3 h 15.