François Hollande, à Bangui, doit exiger la justice pour toutes les victimes d’abus
François Hollande, à Bangui, doit exiger la justice pour toutes les victimes d’abus
Bénédicte Jeannerod et Lewis Mudge, de Human Rights Watch, appellent le président français à soutenir les efforts de paix et de lutte contre l’impunité en Centrafrique.
Le président François Hollande est de passage, ce vendredi 13 mai, à Bangui, capitale de la République centrafricaine. Il s’agit de sa première visite depuis l’élection, le 30 mars, de Faustin-Archange Touadéra à la présidence du pays, prenant la suite du gouvernement de transition. Cette visite intervient alors que la France est en train de retirer ses troupes de maintien de la paix de l’opération « Sangaris ».
La République centrafricaine (RCA) a été le théâtre d’une crise depuis fin 2012, quand les rebelles Séléka à majorité musulmane ont renversé le gouvernement par un coup d’Etat et commis des abus généralisés. A la mi-2013, les milices anti-balaka ont perpétré des attaques à grande échelle en représailles contre les populations civiles musulmanes à Bangui et dans l’ouest du pays. Ces violences ont fait des milliers de morts et forcé près d’un million de personnes, dont beaucoup sont issues de la minorité musulmane, à fuir.
La France, ancienne puissance coloniale, a maintenu une présence militaire dans le pays dès le début de cette crise et la visite du président Hollande devrait être considérée comme une opportunité de soutenir les efforts de paix et de stabilisation du nouveau gouvernement. Pour ce faire, il devrait mettre l’accent, publiquement ainsi qu’à huis clos, sur trois sujets cruciaux : la lutte contre l’impunité, le retour des réfugiés et les abus commis par les forces de maintien de la paix.
Le fait que presque aucun des responsables de terribles violations des droits humains n’ait eu à rendre de comptes est un important facteur de violences. Un premier pas contre l’impunité a été fait par le gouvernement de transition lorsque celui-ci a créé une Cour pénale spéciale. Celle-ci, instaurée au sein du système judiciaire national pour compléter les enquêtes en cours de la Cour pénale internationale (CPI), sera composée d’équipes nationales et internationales et mandatée pour enquêter et poursuivre les graves violations des droits humains perpétrées depuis 2003. Faire de cette cour une réalité nécessitera toutefois un soutien financier et une expertise technique. Ainsi, il est essentiel que le président Hollande reconnaisse publiquement cette cour comme la meilleure chance pour la RCA de mettre fin à l’impunité, et qu’il s’engage à un soutien concret.
Près d’un demi-million de personnes, en majorité musulmanes, sont toujours réfugiées à l’extérieur du pays, et 420 000 autres sont déplacées à l’intérieur des frontières, notamment 36 000 musulmans vivant dans des enclaves. Le président Hollande devrait mettre à profit sa visite pour insister sur le fait que la République centrafricaine ne retrouvera jamais sa stabilité tant qu’une partie importante de la population – les musulmans – ne se sentira pas suffisamment en sécurité pour rentrer chez elle. Le retour des réfugiés et des déplacés ne sera pas chose facile tant le pays est toujours profondément divisé selon des logiques sectaires.
Aucun soldat n’est au-dessus des lois
Pour atteindre cet objectif, le nouveau gouvernement aura besoin de la coopération internationale, notamment de celle de la France, pour réduire les tensions, protéger les civils contre de nouvelles attaques et désarmer les groupes rebelles ainsi que les milices. Le retrait de la force « Sangaris » ne devrait pas empêcher une certaine flexibilité afin que la mission de maintien de la paix des Nations unies dans le pays continue de bénéficier d’un soutien et que la France soit prête à augmenter ses effectifs sur place si nécessaire.
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Durée : 01:26
En 2015, des allégations ont été proférées à l’encontre des soldats de maintien de la paix français, les accusant d’avoir violé des enfants et marchandé du sexe contre de la nourriture dans un camp de déplacés à Bangui. Si ces allégations sont avérées et qu’elles restent sans réponse, ces crimes odieux pourraient compromettre la paix fragile dans le pays. Le président Hollande devrait réaffirmer qu’aucun soldat de maintien de la paix n’est au-dessus des lois et que la France fera tout son possible pour s’assurer que les responsables auront à rendre des comptes. Il devrait également donner des précisions sur l’état d’avancement des enquêtes menées en France sur les abus commis par des soldats des troupes françaises.
Nous avons vu comment les troupes de l’opération « Sangaris » ont contribué à sauver des vies et à assurer une certaine stabilité, particulièrement en septembre 2015, quand des violences ont éclaté à Bangui. Malgré une défiance compréhensible à son égard en raison des allégations de violences sexuelles, la France devrait rester un partenaire proche du nouveau gouvernement centrafricain. En plaidant contre l’impunité, tant à l’égard des rebelles que de ses propres troupes, et en soutenant le retour des réfugiés et des déplacés, la France peut réellement jouer un rôle international prépondérant dans le soutien au nouveau gouvernement vers la stabilité et la justice.
Bénédicte Jeannerod est directrice France de Human Rights Watch.
Lewis Mudge est chercheur auprès de la division Afrique de Human Rights Watch, notamment sur la République centrafricaine, le Rwanda et le Burundi.