Hillary Clinton, « feminist in chief »
Hillary Clinton, « feminist in chief »
Par Audrey Fournier
Timide en 2008, la féministe à l’intérieur de la candidate démocrate s’est bel et bien réveillée.
« La seule chose qu’elle a, c’est la carte féminine. » Donald Trump a beau fulminer, c’est en voyant Hillary Clinton en « mère Noël », dans un clip datant de 2008, déposer soigneusement des promesses de campagne en forme de cadeau sous le sapin, que l’on peut mesurer le chemin parcouru en l’espace de huit ans. A l’époque, celle qui était alors sénatrice de New York, utilisait rarement son statut de femme, et quand elle le faisait, « l’argument féminin » était mis en avant de façon maladroite, très littérale. En témoigne un autre spot, qui met en scène sa mère, Dorothy, égrenant la liste des qualités, tout droit sorties d’un livre de morale pour enfant, de sa fille :
« Elle n’était jamais envieuse, elle était prête à aider, elle a de l’empathie pour les malheurs des autres… »
Autant d’erreurs de communication qui ont eu vite fait de figer la candidate de 2008 dans une posture à la fois traditionnelle et stéréotypée.
Un poste de secrétaire d’Etat plus tard, la candidate a retenu la leçon. La « carte féminine » n’est plus un accessoire, mais un thème central de sa campagne, qui s’en trouve nettement dynamisée. Fille, mère, grand-mère, défenseure des femmes et « role model » : Hillary Clinton est sur tous les fronts.
L’épouse idéale
President Bill Clinton on Hillary's leadership in addressing Flint's water crisis | Hillary Clinton
Durée : 01:19
Avant d’être candidate à la primaire démocrate, Hillary Clinton était surtout « la femme de Bill », à la Maison Blanche, de 1992 à 2000. Après l’avoir épaulé pendant 8 ans − c’est notamment elle qui a conçu et défendu, sans succès, un projet d’assurance-maladie universelle en 1993 − c’est désormais au tour de Bill de courir les réunions publiques pour vanter les mérites, et surtout la très bonne connaissance des dossiers, de son épouse. Pétri d’expérience, Bill Clinton se pose en « vieux briscard » de la politique, qui sait de quoi est capable sa femme et est toujours prêt à vanter ses mérites. La cote de popularité de Bill Clinton étant extraordinairement élevée − 56 % d’avis favorables selon une enquête NBC-Wall Street Journal −, il n’est pas question de réitérer l’erreur de 2008 et de se priver de sa présence pendant la campagne.
La mère de tous les Américains
Fighting for children's rights in South Carolina in the 1970s | Hillary Clinton
Durée : 01:18
La famille et l’éducation sont des sujets de prédilection de Hillary Clinton depuis longtemps (elle y a consacré un livre, It Takes a Village, en 1996), repris et fortement valorisés dans cette campagne. Ses clips, comme « Children », ci-dessous, rappellent ses engagements en faveur de la protection des enfants dès les années 70, lorsqu’elle n’était encore qu’avocate, et mettent en scène les mesures qu’elle propose pour améliorer le sort des mères et des plus petits.
Le nombre de spots de campagne détaillant ses propositions en faveur des enfants est énorme, et la place dans la position d’une candidate tournée vers l’avenir du pays, au contraire de candidats républicains comme Ted Cruz ou Ben Carson, dont les campagnes ont montré une conception de la famille résolument conservatrice.
Children | Hillary Clinton
Durée : 01:01
La fille reconnaissante et la grand-mère comblée
La Hillary Clinton de 2016 est différente de la candidate de 2008. Deux événements ont notamment bouleversé sa vie entretemps : sa mère, Dorothy, très présente pendant la première campagne, est morte en 2011, et sa fille, Chelsea, a donné naissance à une petite fille en 2014 (et devrait mettre au monde son deuxième enfant cet été). L’occasion est trop belle pour ne pas mettre en avant à la fois l’héritage laissé par cette mère adorée, et le défi que représente la fonction de présidente lorsqu’on est à la fois mère et grand-mère.
Les deux messages étaient déjà réunis dans un clip spécialement réalisé pour la Fête des mères 2015, et qui promeut l’instauration d’un congé maternité obligatoire, dans un pays où il est laissé à l’appréciation de l’employeur. « Quand les femmes sont fortes, le pays est fort », explique la candidate.
Happy Mother's Day | Hillary Clinton
Durée : 02:14
Dans « Dorothy », diffusé au début de l’année, Hillary Clinton rappelle la jeunesse pauvre et difficile de sa mère, mais surtout l’aide qu’elle a reçue et qui lui a permis de s’en sortir. « Tout ce que je fais, c’est pour toutes les Dorothy », martèle-t-elle.
Dorothy | Hillary Clinton
Durée : 01:01
La passionaria des droits des femmes
S’il est un domaine dans lequel Hillary Clinton tient à montrer qu’elle fait preuve de constance, c’est bien dans la défense des droits des femmes. Et ses adversaires dans cette campagne lui ont largement facilité la tâche en saturant le débat de commentaires rétrogrades et de prises de position réactionnaires, que ce soit pour l’assèchement des fonds du planning familial ou le durcissement des restrictions pesant sur l’avortement.
Les clips de campagne de Hillary Clinton sur le sujet sont particulièrement virulents. L’un d’entre eux, « Sick of it », est une courte reprise d’un débat entre candidats tenu en octobre. Interrogée sur le « big governement » fustigé par les républicains, la candidate s’emporte et cloue au pilori les « républicains qui s’accommodent bien du “big government” quand il s’agit de dire aux femmes ce qu’elles doivent faire de leur corps ».
Sick of it | Hillary Clinton
Durée : 00:15
Elle dénonce à ce titre dans plusieurs spots « l’attaque » menée par le GOP sur la santé des femmes : par les coupes dans les budgets du planning familial, dans les programmes d’éducation sexuelle basés uniquement sur l’abstinence, dans la restriction du droit à l’avortement…
Support and Stand with Planned Parenthood | Hillary Clinton
Durée : 02:01
Le « role model » d’une génération
Big Questions for Little Supporters | Hillary Clinton
Durée : 01:09
La démarche féministe a beau être sincère, elle n’empêche pas Hillary Clinton, ou plutôt ses communicants, de faire parfois preuve d’excès de zèle. Dans « Big questions for little supporters », une bande de petites filles − visiblement très « briefées » sur le sujet − discute avec un membre de l’équipe de la candidate. La conversation, très animée, est tout à la gloire de l’ex-First Lady.
« Une fille peut-elle être présidente ? », demande l’adulte du clip (la « political director » de la campagne dans le Nevada). « Yes ! » s’exclament les petites. Et d’expliquer pourquoi : « C’est une femme, une mère, une grand-mère, une défenseure des femmes et des enfants, et c’est un modèle pour nous tous. » La conversation n’est pas très spontanée, mais elle a le mérite de faire passer un message clair.
« Comptez sur moi »
Clinton la féministe est tombée sur un adversaire de choix en la personne de Donald Trump. Les positions du candidat républicain, pas forcément très conservateur sur les acquis des femmes mais connu pour ses saillies vulgaires et ses prises de position misogynes, donnent l’occasion aux directeurs de campagne de rendre coup sur coup. Visiblement agacé − et à court d’argument − après la victoire de Hillary Clinton au cours du « mini Super Tuesday » du 26 avril (elle y a remporté la primaire dans 4 Etats sur 5), Donald Trump a estimé que si Hillary Clinton n’était pas une femme, elle « plafonnerait à 5 % des votes ». Tout ce qu’elle a, « c’est la woman’s card », a-t-il proféré à la tribune. Du pain béni pour l’équipe Clinton, qui a aussitôt mis en parallèle l’attaque de Donald Trump et la réponse de la candidate :
« Si se battre pour les soins de santé des femmes, le congé maternité et l’égalité des salaires, c’est jouer la “carte féminine”, alors comptez sur moi (deal me in). »
Est-ce que ça marche ?
Mesurer l’effet réel des « ads » sur les opinions politiques de ceux qui les visionnent n’est pas chose facile, surtout vu le nombre, toujours plus important, de clips produits à chaque campagne. The Upshot (le département dédié au journalisme de données du New York Times) s’est récemment associé à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) pour mettre au point un outil d’étude. Une de leurs premières expérimentations porte justement sur deux clips produits par les super PAC (comité d’action politique) qui soutiennent Hillary Clinton.
Dans le premier, « Real Donald Trump quotes about women », sont lues des citations, toutes plus corsées les unes que les autres, de Donald Trump contre les femmes. Dans le second, « Real life », des actrices et réalisatrices expriment leur soutien envers la candidate, « héroïne » de la « vie réelle ».
Les résultats de cette expérience sont très mitigés : autant le clip anti-Trump produit un réel effet négatif contre le candidat républicain, autant le clip vantant la « carte féminine » de Hillary Clinton n’a qu’un effet marginal sur l’opinion qu’en ont les spectateurs. Les chercheurs qui ont participé à cet exercice se gardent bien d’en tirer une quelconque conclusion, si ce n’est que « s’il y a une personne qui fait du genre un sujet dans cette campagne, c’est surtout M. Trump, et pas Mme Clinton ».