L’emoji, un caractère envahissant
L’emoji, un caractère envahissant
M le magazine du Monde
Le consortium qui définit les caractères universels pour le numérique est accusé de consacrer trop de temps aux émoticônes au détriment des langues minoritaires.
Les emojis prennent-ils trop d’importance ? Ces petites icônes, qui représentent des émotions ou des choses, font l’objet d’une vive polémique au sein du Consortium Unicode, l’organisation qui définit la liste des caractères universels pouvant être utilisés sur de nombreux supports numériques.
Les Emojis envahissent aussi nos smartphones. | DR
Priorité commerciale
« Emoji, emoji, emoji : on ne parle que d’emojis », s’indignait récemment Michael Everson, un contributeur d’Unicode, dans un e-mail que le site Buzzfeed a pu consulter. « Je peux vous dire que beaucoup de gens pensent que l’UTC [le consortium] a perdu la tête », poursuit aujourd’hui, amer, ce féru de linguistique qui rêve que le consortium s’intéresse davantage à l’encodage des langues vivantes pratiquées par de petites communautés et « des caractères anciens, importants pour l’héritage de notre espèce ».
Si Michael Everson s’emporte, c’est parce que certaines de ses propositions, concernant notamment l’intégration de signes de ponctuation médiévaux dans le standard unicode, ont été, selon lui, ignorées : « Malheureusement, beaucoup de caractères anciens ou minoritaires ne représentent pas une priorité commerciale, donc leur encodage prend bien plus longtemps. »
La place des émoticônes, le terme utilisé en français, reste pourtant très minoritaire dans les standards Unicode. En 2014 et 2015, plus de 10 000 nouveaux caractères ont été introduits, parmi lesquels du cherokee, de l’ik (une langue parlée en Ouganda) ou encore de l’ahom, une langue d’Inde aujourd’hui disparue. Et le standard Unicode ne compte guère plus de 1 500 émoticônes, sur plus de 120 000 caractères répertoriés.
« Un complément au langage »
L’utilisation de ces petits signes a explosé ces dernières années, notamment après leur intégration par Apple sur l’iPhone, en 2011, puis par Android, en 2013. Cette année-là, des spécialistes s’étaient amusés à « traduire » Moby Dick d’Herman Melville sous cette forme. Pour la linguiste Gretchen McCulloch, qui décrivait les résultats de ses recherches à ce sujet lors du festival SXSW à Austin, au Texas, en mars, les émoticônes sont surtout « un complément au langage », mais pas un langage à part entière, car ils ne permettent pas l’abstraction.
Selon cette chercheuse, 4,6 % des messages que nous échangeons en ligne en contiennent, et ce chiffre ne cesse de progresser. Et les ennuis qui vont avec… En 2014, une pétition en ligne a rassemblé plus de quatre mille signatures pour critiquer « le manque flagrant de représentations des autres ethnies » sur ces émoticônes. En 2015, le consortium en a donc ajouté de nouveaux, variant la couleur de peau des personnages.