Vichy, entre silence, déni et arrangement
Vichy, entre silence, déni et arrangement
Par Christine Rousseau
Il aura fallu cinquante ans avant que la France reconnaisse sa responsabilité dans les crimes commis par le régime du maréchal Pétain. Dans un documentaire aussi rigoureux qu’éclairant, Michaël Prazan retrace les étapes de ce long processus mémoriel (lundi 16 mai, à 20 h 50, sur France 3)
Vichy, la mémoire empoisonnée - Bande annonce
Durée : 00:46
Quelques semaines après son élection à la plus haute fonction de l’Etat, Jacques Chirac prononçait, le 16 juillet 1995, lors de la commémoration de la rafle du Vel’ d’Hiv, un discours historique. Rompant avec la tradition gaullienne dans laquelle s’étaient placés tous ses prédécesseurs, le président de la République reconnaissait enfin la responsabilité de la France dans l’organisation de cette tragédie qui coûta la vie à 13 000 juifs.
« Ce jour-là, dira-t-il, la France, patrie des Lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile accomplissait l’irréparable. » Par ces mots de vérité, Jacques Chirac déchirait ainsi le voile de silence apposé sur ces crimes et signifiait la fin d’un combat entre les politiques et la société civile qui aura duré plus de cinquante ans.
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Dans la parfaite continuité d’un travail qui lutte notamment contre les falsifications historiques, ainsi que l’illustra Les Faussaires de l’histoire, dans l’esprit duquel s’inscrit Vichy, la mémoire empoisonnée (produits tous deux par Talweg), Michaël Prazan s’attache ici, avec rigueur, à raconter l’histoire de ce combat, l’éclairant des analyses et témoignages de différents acteurs de cette période clé, tels Georges Kiejman, Robert Badinter, Serge Klarsfeld ou encore les historiens Robert Paxton, Annette Wieviorka et Tal Bruttmann.
Vichy, la mémoire empoisonnée - Extrait 2
Durée : 01:29
La seconde guerre mondiale n’est pas encore terminée que, déjà, le général de Gaulle, par l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de l’autorité républicaine, referme la parenthèse vichyssoise et fixe les termes du discours. Cela ôte toute légalité au régime de Vichy, celui-ci est déclaré nul et non avenu. Après une épuration sommaire qui ménage les administrations et les élites dont le nouvel Etat a besoin, priorité est donnée à la reconstruction. L’heure est désormais à l’oubli, au silence, à l’effacement.
« La France d’après-guerre fut une France aveugle et aveuglée », souligne Georges Kiejman, qui fait sien le « récit » de Robert Aron dans son Histoire de Vichy (1954). Reprenant la thèse du bouclier (le glaive étant De Gaulle), il établit que le Maréchal aurait joué un double jeu auprès des Allemands afin de sauver le plus grand nombre de juifs français. Peu après la parution de cet ouvrage, les maréchalistes commencent à sortir de l’ombre, à l’instar de Tixier-Vignancour qui, escorté de Jean-Marie Le Pen, son directeur de campagne, se présente à l’élection présidentielle de 1965.
Mais trois ans plus tard, en mai, le « premier retour du refoulé » se manifeste bruyamment dans les rues à coups de slogans (« CRS = SS ») ou d’affiches établissant un parallèle entre De Gaulle et Hitler. Avant que les cinéastes ne s’emparent de cette période sombre, tels Marcel Ophüls avec Le Chagrin et la Pitié (1969), dont le conseil d’administration de l’ORTF, où siège Simone Veil, interdira la diffusion à la télévision ; Louis Malle et Lacombe Lucien (1974) ou Michel Mitrani avec Les Guichets du Louvre (1974).
Vichy, la mémoire empoisonnée : Nuit et Brouillard
Durée : 02:11
Alors que la société commence à demander des comptes, les politiques, à l’image de Georges Pompidou, qui accorde sa grâce à Paul Touvier, ancien responsable de la milice lyonnaise, demeurent sur la même ligne : celle du silence. Ainsi que Pompidou l’expliquera lors d’une conférence de presse en 1972. « Allons-nous éternellement entretenir saignantes les plaies de nos désaccords nationaux ? Le moment n’est-il pas venu de jeter le voile, d’oublier ces temps où les Français ne s’aimaient pas, s’entre-déchiraient, et même s’entretuaient ? »
Au cours de ces années 1970, les historiens et les intellectuels s’emploient à combler les silences des politiques. Tels Pierre Vidal-Naquet, Jacques Derogy et bien sûr Robert Paxton dont La France de Vichy puis Vichy et les juifs vont marquer les esprits et surtout pulvériser la fameuse thèse du bouclier. Dans le même temps, les époux Klarsfeld s’activent afin que soient arrêtés et traduits en justice Klaus Barbie, Paul Touvier, Maurice Papon ou encore René Bousquet.
Vichy, la mémoire empoisonnée - Extrait 5
Durée : 01:32
Ces affaires qui marquent les années 1980-1990 – sans doute les plus passionnantes – cristallisent le bras de fer mémoriel entre la société civile et les politiques. Bras de fer incarné par Serge Klarsfeld et François Mitterrand qui, malgré les multiples révélations sur son passé – notamment ses liens avec René Bousquet (organisateur de la rafle du Vel’ d’Hiv) –, n’infléchira jamais sa position sur Vichy. Comme l’illustrent ces propos tenus en 1992 : « En 1940, il y eut un Etat français, c’était le régime de Vichy ; ce n’était pas la République. Et c’est à cet Etat français qu’on demande des comptes. Ne demandez pas de comptes à la République, elle a fait ce qu’elle pouvait. »
Vichy, la mémoire empoisonnée - Extrait 4
Durée : 01:52
Rigoureux et éclairant, ce retour de mémoire que propose Michaël Prazan se révèle d’autant plus nécessaire à l’heure où le discours vichyssois refait surface dans la bouche de certains polémistes comme Eric Zemmour.
Vichy, la mémoire empoisonnée, de Michaël Prazan (Fr., 2016, 90 min).