Au Marrakech du rire, l’arme de l’humour pour lutter contre le racisme
Au Marrakech du rire, l’arme de l’humour pour lutter contre le racisme
Par Sandrine Blanchard (Marrakech, envoyée spéciale)
Le festival organisé par Jamel Debbouze était l’occasion pour certains humoristes de s’emparer du sujet des attentats pour tenter de désamorcer la psychose et pulvériser les amalgames sur les Arabes et l’islam.
Gala de clôture du Marrakech du rire, samedi 4 juin, sur la scène du palais El Badiî. | SANDRINE BLANCHARD POUR "LE MONDE"
L’humour peut-il être une arme contre la peur du terrorisme, contre les tensions communautaires et les obsessions sécuritaires ? Oui, ont répondu sur scène plusieurs artistes lors de la sixième édition du Marrakech du rire. Ce festival d’humour organisé par Jamel Debbouze du 2 au 5 juin dans la ville rose marocaine est un bon thermomètre pour mesurer la manière dont les stand-uppers s’emparent du drame des attentats pour tenter de désamorcer la psychose et pulvériser les amalgames sur les Arabes et l’islam.
« L’autre jour, dans un grand magasin, un vendeur me regarde et finit par me reconnaître, raconte Foudil Kaibou, dont le one-man-show a emballé, vendredi, les spectateurs du théâtre royal de Marrakech. Je vous ai vu à la télé, me dit-il. Je souris et d’un coup il ajoute : dites, qu’est-ce qu’ils ont fait avec le Bataclan ? Faut qu’ils arrêtent. Vous ne pourriez pas leur dire, vous ? » Cette anecdote vécue a fait éclater de rire le public cosmopolite du festival. Pour ce nouveau protégé de Jamel Debbouze, né en France de parents algériens et qui a grandi dans une cité alsacienne, « il est indispensable de parler des attentats : les artistes comme le public, on a tous besoin d’évacuer ces drames ».
Pas facile d’être Arabe en France à l’heure actuelle. « On est réduit à une poignée de stéréotypes : racaille, voleur, terroriste. Même si pour voleur, je remercie la communauté roumaine d’avoir pris le relais. Mais qui décernent ces stéréotypes ? », s’interroge Foudil. Les journaux télévisés, les chaînes d’info en continu qui relaient à foison les phrases chocs des politiques (telles que « la France est un pays de race blanche » de Nadine Morano) sont mis en accusation. « Le terrorisme est un poison pour l’islam et les médias la seringue qui l’injecte », balance Foudil. Rencontré hors scène, il raconte « la haine impitoyable » de ses parents vis-à-vis des terroristes. Et ne comprend pas que le voile soit devenu un signe de non-intégration. « Ma mère le porte depuis toujours, jusque dans les années 1980-1990 cela n’a jamais posé de problème. Maintenant l’administration lui demande de modifier sa photo d’identité. Heureusement, elle a une sagesse qui fait que cela ne l’atteint pas ». Foudil a 38 ans, il a quitté il y a quelques années sa vie de cadre dans une entreprise de recrutement pour assouvir sa passion du théâtre. Il se définit comme « Arabe, Alsacien, acteur ; c’est mon triple A », s’amuse-t-il. Son credo ? Une citation de Malcom X : « L’éducation est un passeport pour l’avenir car demain appartient à ceux qui s’y sont préparés aujourd’hui. »
Benzema, loi travail et discrimination
« On ne va pas se le cacher, 2016 ce n’est pas l’année du monde arabe… 2015 non plus vous me direz. Mais nous aussi on a peur, on découvre les événements en même temps que vous », interpelle Wary Nichen, né à Oran, en Algérie, il y a 34 ans. Vainqueur cette année du Debjam Comedy (la scène ouverte du Jamel comedy club) il s’est produit jeudi pour la première fois au Marrakech du rire. « Je zappe, déprimé, de chaînes d’info en chaîne d’info, tombe, content, sur du sport et… c’est l’affaire Benzema. » Avec son air de Droopy et sa nonchalance assumée, Wary Nichen a le sens de la formule (« Un hipster c’est un look de salafiste avec une coupe Franck Provost ») et le goût pour l’absurde (« Pourquoi demander à une Arabe, Myriam El Khomri, de faire une loi travail après des décennies de chômage et de discrimination à l’embauche ? »).
Wary Nichen débute avec un certain talent dans l’humour mais n’a pas encore lâché son boulot d’ingénieur en télécoms. Bourlingueur et thésard, il a étudié à Alger, Paris, Montréal, a voyagé à travers le monde pour son premier employeur (Alstom), a fait une pause en 2011 pour suivre à Montréal une formation de réalisateur et des cours du soir à l’école nationale de l’humour ; a repris son boulot d’ingénieur dans une entreprise anglaise et partage désormais sa vie entre Londres et Paris. De cette vie de voyageur, il en a tiré une philosophie : « Mettre en avant la citoyenneté du monde ; quand on meurt, on n’emporte pas son passeport avec soi. » Et une acuité particulière sur les questions d’intégration d’un pays à l’autre : « Londres a choisi un maire musulman ; en France c’est Jack Lang qui dirige l’Institut du monde arabe. »
Fan de l’humoriste américain Louis C.K., il se plaît « à partir de l’actualité, d’essayer de proposer des solutions ; parfois absurdes mais avec du sens ». Cela donne : « Plutôt que de confisquer le passeport à des djihadistes européens qui veulent partir en Syrie et d’empêcher des Syriens qui fuient la guerre de venir en Europe, pourquoi ne pas leur proposer un échange d’appartement, façon Airbnb ? » Ou encore : « Pourquoi ne pas rapprocher les excités de la kalach des demandeurs d’euthanasie, histoire de canaliser les énergies ? » Le 13 novembre, il devait jouer au Paname, rue de la Fontaine au roi à Paris, mais son train a eu du retard. « J’ai vécu en Algérie dans les années 1990, quand chaque journal télévisé annonçait des centaines de morts, alors j’essaie de prendre du recul sur ce qui se passe aujourd’hui », dit Wary Nichen qui constate, qu’en France, « il faut être le moins Arabe possible ».
Gala de clôture du Marrakech du rire, samedi 4 juin au palais El Badiî | SANDRINE BLANCHARD POUR LE MONDE
Samedi, lors du gala de clôture du Marrakech du rire au palais El Badiî, devant quelque 2 000 spectateurs agitant des drapeaux français et marocains, Waly Dia a ouvert la soirée : « En ce moment les Arabes ont vous en fout plein la gueule : la guerre, les Arabes, le terrorisme, les Arabes, le rhume, les Arabes ». Et le jeune humoriste – d’origine sénégalaise par son père et française par sa mère – de poursuivre devant un public hilare : « Toutes ces tensions, ce racisme, ce n’est plus possible. La phrase préférée des racistes c’est : toi, rentre chez toi. Ok, c’est la deuxième rue gauche, je suis Français ». Un peu plus tard, le jeune duo Younès et Bambi, l’Arabe et le Juif, remportent un beau succès en concluant leur prestation d’un : « On n’a pas la même religion, mais on a la même passion : la scène ».
Mais la plus belle découverte de cette soirée s’appelle Ahmed Sylla. Cet humoriste de 26 ans d’origine sénégalaise a eu droit à une standing ovation, chaleureuse et méritée, notamment pour son imitation désopilante de Didier Deschamps, l’entraîneur « jamais énervé » de l’équipe de France de football qui a choisi Olivier Giroud et pas Ben Arfa pour l’Euro 2016 « parce qu’il faut faire des choix ».
Dans un sketch parodiant le film Retour vers le futur, Jamel Debbouze, Fatsah Bouyahmed, Alban Ivanov et Franck Dubosc se sont retrouvés dans un monde où « il n’y a plus d’Arabes à cause de Donald Trump ». Reprenant la mélodie de Formidable, le tube de Stromae, les quatre comédiens ont entonné : « Plus d’Arabes, plus d’Arabes, tu étais un Arabe, on était des Arabes, nous étions des Arabes ». La terreur n’arrêtera pas l’humour.