Au Texas, six fois plus de séismes depuis l’extraction du pétrole et gaz de schiste
Au Texas, six fois plus de séismes depuis l’extraction du pétrole et gaz de schiste
Par Olivier Levrault
La fréquence des séismes dus à l’activité humaine a fortement progressé dans l’Etat du Sud des Etats-Unis, riche en hydrocarbures, révèle une étude scientifique.
En 2015, environ 300 000 personnes travaillaient dans l’industrie du pétrole et du gaz au Texas. Soit 50 % de plus qu’en 2011. | SPENCER PLATT / AFP
Depuis 2008, le Texas a triplé sa production combinée de gaz et de pétrole. Dans la même période, la moyenne annuelle de séismes a été multipliée par six, passant de 2 à 12 secousses d’une magnitude égale ou supérieure à 3, le seuil à partir duquel un séisme est ressenti par l’être humain. Selon une étude publiée mardi 17 mai dans la revue Seismological Research Letters, un lien direct est établi entre l’activité sismique et l’exploitation de gaz et pétrole de schiste. Mais l’impact des activités pétrolières et gazières sur l’activité sismique remonte bien avant 2008, révèle également l’étude. Le secteur des hydrocarbures provoque des séismes dans l’Etat texan depuis 1925.
Les chercheurs, menés par le sismologue Cliff Frohlich de l’université du Texas, ont comparé la survenue des séismes et les activités pétrolières. En observant plusieurs facteurs (données géographiques, indicateurs de profondeur, etc.), ils ont mesuré la probabilité, pour chaque séisme, d’être « induit », c’est-à-dire provoqué par l’homme. Résultats : sur les 162 séismes d’une magnitude supérieure à 3 relevés au Texas depuis 1975, « 42 (26 %) sont presque certainement induits, 53 (33 %) sont probablement induits, 45 (28 %) sont possiblement induits, et seuls 21 sont tectoniques [donc d’origine naturelle] ».
Le Texas, fer de lance du pétrole américain
Au fil des décennies, les technologies utilisées par l’industrie du pétrole ont évolué. Des premiers forages, on est passé progressivement à l’injection massive d’eau dans le sous-sol afin de faire remonter le pétrole. Depuis le début des années 2000, la fracturation hydraulique s’ajoute aux autres procédés. Grâce à cette méthode, qui consiste à injecter à haute pression un mélange d’eau, de sable et d’adjuvants chimiques pour fissurer les formations schisteuses, les compagnies américaines peuvent exploiter les ressources emprisonnées dans la roche mère.
L’essor de fracturation hydraulique a permis aux Etats-Unis de détrôner en 2014 l’Arabie saoudite de son titre historique de premier producteur mondial de pétrole. Dans cette nouvelle donne énergétique, le Texas joue un rôle de fer de lance en produisant plus d’un tiers du pétrole brut américain.
L’étude publiée le 17 mai relie chacune de ces technologies à la survenance de séismes. Si l’augmentation des séismes depuis 2008 ne découle pas directement de la fracturation hydraulique, elle est clairement reliée à la gestion des eaux usées utilisées pour les besoins de la fracturation. « Pour fissurer le schiste et ainsi récupérer le pétrole ou le gaz emprisonné, la fracturation nécessite de grandes quantités d’eaux injectées à haute pression », commente Pierre Thomas, professeur de géologie à l’Ecole normale supérieure de Lyon.
La réinjection des eaux usées en cause
Une fois utilisées, que deviennent ces eaux usées ? « Dans certains pays, on les rejette dans des rivières, continue M. Thomas. Aux Etats-Unis, soit on les réutilise pour une nouvelle fracturation, soit on les réinjecte dans le sol afin de les stocker en profondeur. » Ce sont ces activités qui, en modifiant la pression et la sismicité du sous-sol, peuvent provoquer des séismes.
Les tremblements de terre induits enregistrés au Texas, principalement de faible intensité, ne sont généralement pas ressentis. Néanmoins, quatre d’entre eux ont dépassé 4,6 sur l’échelle de Richter, faisant craindre la perspective d’une puissante secousse à venir. « Dès qu’on perturbe le sous-sol, on provoque des instabilités, détaille François-Henri Cornet, géophysicien à l’université de Strasbourg. Et plus l’exploitation est profonde, plus les risques sismiques peuvent être importants. » Or, le gaz de schiste se trouve généralement à des profondeurs plus importantes dans le sous-sol que le gaz conventionnel.
Cette étude fait suite à un rapport publié en mars par l’Institut américain de géophysique (USGS), selon lequel environ sept millions d’Américains sont menacés par des séismes provoqués par l’homme, principalement dans les Etats de l’Oklahoma et du Texas.
Le lien entre séisme et fracturation hydraulique n’est pas une originalité texane. Il s’est vérifié dans les Etats de l’Ohio et de l’Oklahoma, et en territoire canadien. En Oklahoma, le risque sismique s’avère d’ailleurs beaucoup plus élevé qu’au Texas : en 2015, on y enregistre trois séismes de magnitude proche de 3 chaque jour. Malgré ces études, « nous manquons toujours d’informations sur le sujet, déplore Normand Mousseau, physicien à l’université de Montréal et auteur de La Révolution des gaz de schiste (Editions Multimondes, 2010). Faute d’études de grande ampleur, les effets à moyen et long terme de l’exploitation du sous-sol restent inconnus. »
La France et l’Europe concernés
L’Europe et la France sont également concernés par la problématique. « Même sans extraction de gaz de schiste, des séismes peuvent être provoqués par l’homme, développe Pierre Thomas. En France, le récent séisme de magnitude 4 enregistré dans les Pyrénées-Orientales peut être relié à l’activité gazière importante du bassin de Lacq. » Découvert dans les années 1950 et exploité jusqu’en 2013, ce gisement a alimenté en gaz naturel des foyers à travers toute la France. En réaction, une importante activité sismique s’est développée dans la région.
Outre l’exploitation du sous-sol, « d’autres interventions humaines, comme la construction de barrages, peuvent engendrer des tremblements de terre, indique M. Cornet. Le séisme qui a fait plus de 80 000 morts dans la région chinoise du Sichuan, en 2008, serait dû à la construction d’un barrage hydroélectrique. »