Jour de vote à Ardoz, près de Madrid, le 28 avril. / CURTO DE LA TORRE / AFP

Après avoir déposé leurs bulletins dans les urnes disposées dans les salles de classe du collège Juan-Falco, dans la banlieue de Madrid, de petits groupes animés se forment. Les uns en profitent pour discuter de tout ou de rien, mais surtout de politique, sur la place de l’Eglise. Les autres échangent quelques mots rapides en surveillant du coin de l’œil leurs enfants avant de repartir profiter de ce chaud et ensoleillé dimanche de printemps. D’autres se rendent avec leur groupe d’amis à une terrasse pour le traditionnel vermouth de 12 heures.

Dimanche 28 avril, près de 37 millions d’Espagnols sont appelés à voter pour les troisièmes élections législatives organisées dans le pays en quatre ans. Et Luisa, commerciale pharmaceutique de 47 ans, « en a marre », dit-elle assise près de la fontaine de la place de l’Eglise. « Je ne suis pas d’accord avec les coalitions et les pactes. C’était mieux quand il n’y avait que deux grands partis, PP et PSOE. A présent, les élections ne servent à rien puisque aucun parti ne peut réaliser son propre programme… », regrette cette votante traditionnelle du Parti populaire (PP, conservateur).

« Je voudrais un vrai leader »

L’irruption de nouveaux partis sur l’échiquier politique espagnol, la gauche radicale Podemos et le parti libéral Ciudadanos, n’a pas su être gérée politiquement et a débouché sur une certaine instabilité gouvernementale. Faute de majorité pour former un gouvernement, les élections de décembre 2015 ont été suivies de nouvelles législatives six mois plus tard, en juin 2016. Puis une motion de défiance contre le fragile gouvernement du conservateur Mariano Rajoy a amené le socialiste Pedro Sanchez au pouvoir en juin 2018. Enfin, incapable de trouver une majorité pour approuver le budget, ce dernier a dû convoquer des élections anticipées.

Pedro Sanchez vote à Pozuelo de Alarcon, dans la banlieue de Madrid, le 28 avril. / Bernat Armangue / AP

« J’aimerais voter pour un changement radical, pour que l’on revienne aux valeurs et au respect qui existaient dans le temps, poursuit Luisa. Je voudrais un vrai leader, avec des principes fermes et qui appelle les choses par leur nom. Pas une marionnette. Et qu’il recentralise les compétences des régions autonomes : elles sont une source d’instabilité, de dispersion du pouvoir et de propagation de la corruption. » Cette mère de trois fillettes hésite encore entre donner cette fois son vote au PP ou au parti d’extrême droite Vox. Cette force nationaliste et réactionnaire a connu une ascension remarquée ces derniers mois, principalement au détriment du PP, alors que l’Espagne n’avait plus de parti d’extrême droite depuis 1982. Dans ses meetings monstres, Vox promet de dépasser les 12 % des voix que lui prédisent les sondages et de créer la surprise. Ce qui est d’autant plus possible qu’à une semaine des élections, près de 40 % des Espagnols se disaient encore indécis.

C’est d’ailleurs dans l’isoloir, qu’Olga, 41 ans, s’est décidée. Pour la première fois, elle a voté pour un autre parti que le PP : Ciudadanos (libéral, centre-droit). « Mariano Rajoy a fait beaucoup de mal au PP : il a été bon sur l’économie, mais il a manqué de courage face aux séparatistes, explique cette femme au foyer, qui vient de reprendre des études de radiologue. Ciudadanos défend les petits entrepreneurs, comme mon mari qui a une petite entreprise de construction et Albert Rivera me semble modéré. Vox est trop radical avec son idée d’autoriser les armes pour tout le monde ou d’interdire l’avortement… », ajoute-t-elle.

« Un vote utile »

Carmen Riquelme, 38 ans, a elle aussi changé le sens de son vote à ces élections : après avoir voté pour Podemos aux élections de 2015 et 2016, elle a décidé de revenir au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). « Je trouve que le gouvernement de Pedro Sanchez était très bien, avec de grandes ministres. Et c’est aussi un vote plus utile, car c’est lui qui a le plus de chance de gouverner », dit-elle, en référence aux sondages qui donne les socialistes largement en tête, avec entre 26 et 30 % des voix. « Pour moi, ces élections sont les plus importantes depuis que je vote : l’avancée de l’extrême droite risque de provoquer une régression terrible. J’ai une petite fille, et c’est un parti antiféministe et machiste. »

Borja Torres, technicien audiovisuel, aussi a migré de Podemos vers le PSOE. « Je suis un votant communiste et j’aurais voté pour eux s’ils ne s’étaient pas alliés à Podemos. Ce n’est pas non plus que j’aime le PSOE, mais il faut faire front pour empêcher que la droite ne remette en cause nos droits sociaux », explique-t-il. Podemos est promis à une profonde chute, passant des 20 % obtenus en 2016 à 14 % des voix, selon les sondages.

Varvara Begun, femme au foyer de 43 ans, a failli faire de même. « J’étais convaincue de voter pour le PSOE il y a encore deux semaines, comme vote utile contre la droite, mais je n’ai pas confiance en Pedro Sanchez. Il est prêt à pactiser avec Ciudadanos pour rester au pouvoir », assure-t-elle. Après avoir vu le débat télévisé, elle a revu sa décision et voté pour Podemos, comme en 2015 et 2016, « avec moins d’enthousiasme, car je n’ai plus vraiment l’espoir qu’il change ce pays, mais pour ancrer le PSOE à gauche ».

Antonio Martinez, ingénieur de 49 ans a aussi voté pour Podemos mais non sans hésiter entre l’abstention ou même Vox, « parce que je suis antisystème, explique-t-il. Aucun parti ne va régler les problèmes, la seule chose qui m’intéresse, c’est de donner un coup de pied dans l’échiquier… »

Santiago Abascal, président de Vox, vote à Madrid, le 28 avril. / OSCAR DEL POZO / AFP

« Nettoyage »

Daniel, fonctionnaire de 39 ans, veut aussi « un changement radical » et a voté pour Vox pour « faire du nettoyage, en matière de corruption, d’immigration, dit-il. Et surtout, je n’aime pas comment va le pays en ce moment avec les séparatistes catalans. Vox dit les choses clairement. Les autres ont déjà eu leur chance et n’ont rien fait. »

La colère provoquée par la tentative de sécession de la Catalogne en octobre 2017 est le principal ciment des électeurs du Vox, seul parti qui promet de recentraliser totalement l’Espagne en supprimant ses 17 parlements et gouvernements régionaux. « L’Espagne se trouve à la croisée des chemins. La force des régions autonomes met en danger son futur et seul Vox peut nous protéger, estime Angel, 65 ans, retraité, ancien électeur du PP passé à Vox. Son leader a déjà risqué sa vie pour l’Espagne au Pays basque, où les terroristes d’ETA l’ont menacé : c’est forcément une bonne personne. » A ses côtés, Isabel Garcia aussi a voté Vox, de crainte d’une « invasion islamiste ».

Sonia Sosa, administrative financière de 44 ans, est restée fidèle au PP. « J’ai toujours voté pour eux et jusqu’à présent, cela m’a toujours convenu. Je n’ai pas confiance en la proposition économique de la gauche, dit-elle. Pour moi, ces élections peuvent changer le pays, en pire, si beaucoup de gens votent pour des options radicales comme Vox… »

Le sentiment que ces élections sont plus décisives que jamais explique sans doute la hausse de la participation à la mi-journée. A 14 heures, 41,5 % des Espagnols avaient voté, soit quatre points de plus qu’en 2016.