Aux Etats-Unis, après l’homophobie ordinaire, la haine terroriste
Aux Etats-Unis, après l’homophobie ordinaire, la haine terroriste
M le magazine du Monde
Alors que la communauté LGBT américaine est de mieux en mieux perçue par l’opinion publique, la tuerie d’Orlando, en Floride, le 12 juin 2016, lui a cruellement rappelé qu’elle est et reste une cible pour tous les extrémistes.
Le 13 juin, à Orlando (Floride), durant un hommage aux victimes de l’attentat perpétré la veille dans le club gay le Pulse. | Adrees Latif/Reuters
Ils auraient pu avoir de quoi se réjouir en ce mois de juin. Le 26 allait marquer le premier anniversaire de la légalisation par la Cour suprême du mariage gay ; les traditionnelles et festives Marches des fiertés se répandaient dans la plupart des grandes villes du pays, célébrant cette avancée historique pour le mouvement LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres).
Mais pour les homosexuels américains, l’anniversaire aura un goût de sang. L’attaque du Pulse, une boîte de nuit gay à Orlando (Floride), qui, dans la nuit du 11 au 12 juin, a fait 49 morts et 53 blessés parmi les night-clubbeurs venus célébrer une soirée « latino », a sonné comme un rappel tragique. La communauté LGBT demeure une cible. Et, comme dans les années 1970, des bars tels que le Pulse, refuges d’hommes et de femmes encore parfois stigmatisés, redeviennent de possibles lieux de mort.
Regain des tensions à l’encontre des gays
La toile de fond de l’attentat perpétré par un terroriste se réclamant de l’organisation Etat islamique est certes particulière : à l’homophobie ordinaire, portée par les religieux ultraconservateurs de tous bords, s’ajoute la violence terroriste politique. Cette attaque hors norme vient toutefois clore une année paradoxalement marquée par un regain de tensions à l’encontre des gays et des transsexuels dans le pays. Et au lendemain de l’attentat d’Orlando, un jeune homme de 20 ans lourdement armé et muni de produits chimiques a été arrêté en Californie alors qu’il se dirigeait vers la Gay Pride de Los Angeles, où des dizaines de milliers de personnes s’étaient donné rendez-vous.
Depuis l’adoption du mariage pour tous, les manifestations d’homophobie et de transphobie ont pris de nouvelles formes. A travers le pays, des commerçants, généralement issus de la mouvance chrétienne évangélique, ont assumé leur refus de servir des couples homosexuels. Cas emblématique de cette nouvelle « guerre culturelle », une greffière du Kentucky, Kim Davis, a brièvement été emprisonnée début septembre pour avoir obstinément refusé de délivrer des certificats de mariage aux couples homosexuels, estimant cette cérémonie contraire à ses croyances. En justifiant son intransigeance par « la liberté religieuse » due à chaque citoyen américain, cette chrétienne apostolique avait obtenu le soutien « sans équivoque » de Ted Cruz, alors prétendant républicain dans la course à la Maison Blanche.
La « bataille des toilettes »
Au fil des mois, le combat des conservateurs s’est déplacé vers les transgenres. Alors que dans tous les milieux sociaux, des milliers d’Américains revendiquent leur changement de sexe, ils peinent encore à faire reconnaître leurs droits. Désormais premières victimes d’une forme de diabolisation, les personnes transsexuelles se retrouvent donc au cœur de « la bataille des toilettes », qui fait rage dans plusieurs Etats américains.
La « guerre des toilettes » est déclarée dans plusieurs Etats, où des manifestants refusent que les transgenres accèdent aux sanitaires de leur choix. Ici, en avril à Raleigh, Caroline du Nord. | Ray Whitehouse/The New York Times-Redux-REA.
Malgré le soutien apporté par le président Barack Obama à cette cause, la possibilité pour les transgenres d’accéder aux toilettes et aux vestiaires correspondant à leur identité sexuelle et non pas à leur sexe biologique est remise en cause dans plusieurs Etats, comme en Caroline du Nord, ou dans certaines villes, comme à Houston (Texas). La population y a rejeté un texte antidiscriminations proposé par la municipalité aux cris de « Pas d’hommes dans les toilettes pour femmes ! », suggérant qu’une telle ouverture inciterait des prédateurs à y sévir. Selon les organisations de défense des droits LGBT, quelque 200 textes ont été introduits depuis un an auprès des Etats ou des villes pour entraver la lutte contre les discriminations à l’encontre des personnes homosexuelles et transsexuelles.
Ces discriminations d’un nouveau genre rejoignent une homophobie persistante mesurée chaque année dans les statistiques du FBI. En 2014, un cinquième des violences liées à la couleur, à la religion ou au genre a touché la communauté LGBT. Proportionnellement, les gays et transsexuels auraient donc quatre fois plus de risque d’être agressés que les musulmans et deux fois plus que les Noirs. Ces crispations sont d’autant plus mal ressenties que l’opinion publique semble se montrer d’année en année plus tolérante envers les LGBT. En 2016, les Américains pro-mariage gay sont désormais 55 %, contre 35 % en 2001, selon le Pew Research Center. Pour les moins de 35 ans, la proportion est même passée de 51 % à 67 % entre 2003 et 2014. Un avis que seulement 42 % des musulmans partagent. Mais la communauté la plus réfractaire reste celle des protestants évangéliques blancs : 28 % d’entre eux seulement y sont favorables.
La première fois que « Le Monde » a écrit « homophobie »
C’était dans l’espoir de la voir régresser. Le 4 novembre 1979, Bruno Frappat s’intéresse à une émission d’Antenne 2 intitulée « Question de temps », « la première tentative d’autoexpression des homosexuels » à la télévision : « On saura mardi matin si la tolérance à l’homosexualité a franchi, en France, un seuil décisif. On le saura quand les quelques homosexuels inconnus qui auront accepté de se montrer la veille, à la télévision, croiseront les regards de leurs parents, de leurs collègues de travail, de leurs voisins. Et si le fait d’avoir dévoilé publiquement leur homosexualité suscitera l’ironie, l’indifférence, la haine ou la commisération. »
Le réalisateur du documentaire diffusé durant l’émission met des mots sur ce climat : « Au lieu, propose l’écrivain Dominique Fernandez, de s’interroger sur les causes de l’homosexualité – alors qu’elle est un fait –, il faudrait s’interroger sur les causes de l’homophobie. Il y a, bien sûr, le refoulement. Mais je crois surtout que la vision homosexuelle du monde et de la vie remet en cause la société telle qu’elle fonctionne. »
Cette vision du monde, fondée avant tout sur une plus grande liberté, le reste de la société a fini par se l’approprier. Et c’est aussi cela qui a été frappé dans la nuit du 11 au 12 juin, à Orlando.