« Bien mal acquis » : les dépenses astronomiques de Teodorin Obiang
« Bien mal acquis » : les dépenses astronomiques de Teodorin Obiang
Par Simon Piel, Joan Tilouine
Le parquet financier a demandé le renvoi devant le tribunal du fils du président équato-guinéen pour, entre autres charges, « détournement de fonds publics » et « abus de biens sociaux ».
Le parquet national financier a demandé, lundi 23 mai, le renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris Teodoro Nguema Obiang Mangue (surnommé « Teodorin ») pour « blanchiment de corruption », « détournement de fonds publics », « abus de biens sociaux » et « abus de confiance ».
Si les juges d’instruction se prononcent en faveur de son renvoi, cela pourrait donner lieu au premier procès d’un responsable visé par l’enquête dite des « biens mal acquis » lancée à la suite d’une plainte des associations Sherpa et Transparency International en 2007.
Teodorin, 47 ans en juin, n’est pas n’importe qui dans son pays. Il est d’abord le fils du président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, arrivé au pouvoir en 1970 à la suite d’un putsch contre son oncle, et réélu en avril pour un cinquième mandat avec 93,7 % des voix lors d’une élection boycottée par l’opposition.
Depuis mai 2012, Teodorin fait fonction de deuxième vice-président de Guinée-Equatoriale, chargé de la défense et de la sécurité nationale. Auparavant, il a occupé, de 1997 à 2012, le poste de ministre de l’agriculture et des forêts. Un ministère qui lui assurait un salaire annuel de 60 000 euros. Selon un accord scellé avec la justice américaine qui enquêtait sur l’origine de sa fortune, il a reconnu plus de 300 millions de dollars (269 millions d’euros) d’avoirs obtenus à travers la corruption et le détournement.
Plus encore que la côte ouest des Etats-Unis, Teodorin appréciait par-dessus tout Paris, ses grands hôtels, son architecture et ses plaisirs.
Au fil des enquêtes, la justice française a mis en lumière un train de vie de nabab et des dépenses qui donnent le vertige. Le réquisitoire du parquet financier dont Le Monde a pris connaissance en dresse le panorama : voitures de luxe, habits de grands couturiers, hôtel particulier, œuvres d’art, les dépenses somptuaires de Teodorin contrastent avec la réalité économique de ce pays d’Afrique centrale où plus de 75 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale. Inventaire de quelques-uns de ses caprices parisiens.
Passion voitures
Teodorin a fait l’acquisition d’une quinzaine de véhicules de luxe en France, dont trois Bugatti Veyron acquises en décembre 2006, en février 2007 et en juillet 2007. Plus tôt, les 11 et 15 février 2005, il avait craqué pour une Rolls-Royce Phantom et deux Maserati. En tout, sa passion automobile lui est revenue à 5,7 millions d’euros. Pour régler plusieurs de ces bolides, celui qui était alors ministre de l’agriculture et des forêts a effectué des virements émanant du compte de la société Somagui Forestal, la société guinéenne d’exploitation forestière.
En novembre 2009, un drôle de manège attire l’attention des autorités françaises : 26 voitures (Bentley, Lamborghini, Rolls-Royce…) et 8 motos extravagantes (dont 5 Harley-Davidson), d’un montant de 12 millions de dollars, transitent par l’aéroport de Paris-Vatry (Marne). En provenance des Etats-Unis, ces véhicules ont fait une halte à Amsterdam-Schiphol, aux Pays-Bas. Le convoi restera quelques semaines à l’aéroport de Paris-Vatry, prisé du clan Obiang pour exporter ses achats fantasques, avant de s’envoler vers Malabo. Là encore, Teodorin s’est tourné vers sa société Somagui Forestal pour passer en notes de frais ses Maserati, Bugatti et autres véhicules de luxe.
En septembre puis en octobre 2011, les enquêteurs français ont saisi 18 de ces véhicules garés sur le parking de son hôtel particulier, avenue Foch, et ont découvert un pan de sa collection sur des parkings loués par Teodorin, avenue Victor-Hugo et avenue Marceau, dans les 8e et 16e arrondissements parisiens. Saisis en 2012, certains de ces véhicules ont été vendus en juillet 2013 à Drouot, rapportant 2,8 millions d’euros à l’Etat.
Frénésie immobilière
Lorsqu’il pouvait encore venir en France, Teodorin aimait à fréquenter les plus grands palaces parisiens. Avec un faible pour le Crillon, où il avait l’habitude de régler en espèces des factures de plus de 580 000 euros. Mais c’était avant d’acquérir, début 2005 pour 25 millions d’euros, un hôtel particulier avenue Foch. Il a jeté son dévolu sur une bâtisse datant de 1890 d’une superficie de 4 000 m2, comprenant cinq étages avec ascenseur, appartements bourgeois et 101 pièces. De prestigieux architectes d’intérieur et des décorateurs se sont chargés, entre 2005 et 2007, d’exécuter ses désirs esthétiques et autres travaux pour un montant de 12 millions d’euros.
Teodorin n’apparaît pas directement sur l’acte de propriété de cet hôtel particulier. Pour brouiller les pistes, il a profité de ses participations dans cinq sociétés suisses (Ganesha Holding, GEP Gestion Entreprise Participation, Re Entreprise SA, Nordi Shipping and Trading Co Ltd, Raya Holding SA). Et comme pour rajouter un zeste d’opacité, les actions de ces sociétés sont au porteur. Il est pourtant l’unique actionnaire de ces cinq véhicules financiers.
Pour éviter la saisie du bien, le domicile personnel de Teodorin est subitement devenu l’ambassade de République de Guinée en octobre 2011. Désormais, touristes et hommes d’affaires désireux de se rendre à Malabo doivent emprunter l’ascenseur de Teodorin pour se rendre au bureau des visas et peuvent contempler le goût de l’ancien maître des lieux pour le baroque. Une perquisition a néanmoins eu lieu en février 2012. Teodorin était alors à Malabo, selon la gouvernante. Cinq mois plus tard, la justice française a ordonné la saisie pénale du parc immobilier de Teodorin en France, estimé à 107 millions d’euros.
L’esthète de Malabo et les œuvres d’art
Le fils du président équato-guinéen aimait à flamber lors des ventes organisées chez Christie’s. C’est ainsi qu’il a acquis 109 lots de la collection Yves Saint Laurent et Pierre Bergé dont la vente s’est tenue en février 2009. Montant total : 18,3 millions d’euros. Toutefois, il n’a commencé à régler ces œuvres d’art qu’en mars 2010 – et non dans la semaine suivant la vente comme il se doit.
Et là encore, comme pour la plupart de ses voitures de luxe, il a puisé dans le compte en banque de la Somagui Forestal. Cette même année 2010, il se pique de meubler ses palais parisiens et équato-guinéens d’antiquités et d’œuvres d’art. Il se tourne vers la maison de vente de meubles et d’objets d’art Didier Aaron, réputée pour son catalogue du XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Teodorin lâche 600 000 euros. En tout, il aura acquis pour 15 millions d’euros d’œuvres d’art sur la place parisienne entre 2007 et 2009.
Pulsions d’achat tous azimuts
Rien n’est trop beau pour le petit « prince de Malabo » lorsqu’il est en déplacement à Paris. Et tout se doit d’être dans la démesure. Pour équiper sa salle de projection, il s’offre un écran géant, des enceintes et autres équipements hi-fi quitte à se délester de 100 000 euros. A table, Teodorin se sustente à l’aide de couverts de collection achetés 1,8 millions d’euros. Il a aussi craqué pour un service à caviar et une vasque à champagne payés plus de 70 000 euros.
Sur le plan du style, il apprécie les costumes Dolce & Gabbana sur mesure : plus de 70 000 euros. Selon son ancien cuisinier, Teodorin disposait de valises bourrées d’espèces pour assouvir ses pulsions d’achat chez les grands couturiers parisiens. Près de 10 millions de dollars, probablement issus des commissions perçues sur le détournement des revenus pétroliers, à dépenser en quelques heures chez Dior ou Saint Laurent. Tous les trois mois environ, Teodorin venait à Paris avec deux valises remplies de cash. Exigeant, il est à l’affût de produits d’exception, comme ces quatre montres uniques de marques Cartier, Vacheron Constantin et Piaget achetées en octobre 2010 pour un total de 710 000 euros.
Place Vendôme, le deuxième vice-président de Guinée-Equatoriale a dépensé plus de 10 millions d’euros en bijoux entre 2005 et 2011. Contacté, l’avocat de M. Obiang, Emmanuel Marsigny, n’a pas souhaité faire de commentaires.
Pour décrire ses passages en France, son ancien majordome, interrogé par les enquêteurs, n’use que de trois mots : « Alcool, putes et coke. »