Brexit : « Le rêve des Etats-Unis d’Europe est désenchanté »
Brexit : « Le rêve des Etats-Unis d’Europe est désenchanté »
Comment l’Union européenne appréhende-t-elle la perspective d’un « Brexit ». Celui-ci la menacerait-elle ? Réponses avec Cécile Ducourtieux, correspondante du « Monde » à Bruxelles.
Cécile Ducourtieux est correspondante du Monde à Bruxelles, auprès des institutions européennes. Elle a répondu aux questions des lecteurs du Monde.fr lors de notre journée spéciale #BrexitorNot.
Un bulletin de vote pour le référendum sur le maintien ou non du Royaume-Uni au sein de l’UE. | ? Russell Boyce / Reuters / REUTERS
Chris : Comment concrètement se passera la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE si les partisans du « oui » gagne ? Est-ce que tous les accords internationaux seront remis sur la table, ou est-ce qu’une forme de transition a été prévue ? D’autre part, est-ce qu’une date a été donnée pour la sortie concrète de l’UE, ou bien est-ce que la simple déclaration des résultats signifie en soi la sortie ?
La simple déclaration des résultats, en soi, n’est pas une sortie. Si le « Brexit » l’emporte, le Royaume-Uni restera membre de l’UE tant que la négociation du divorce durera. A priori, cette négociation dure deux ans, selon les traités de l’Union depuis le traité de Lisbonne de 2009. L’article 50 permet de faire une demande de divorce volontaire et unilatérale. Les jours qui suivent, si le « Brexit » l’emporte, le gouvernement britannique, en toute logique et s’il respecte le choix des électeurs, fera cette demande de déclenchement de l’article 50 auprès des autres Etats membres de l’Union. Cet article très bref dans le traité de l’UE dit que la négociation commencera à partir de ce moment-là et durera deux ans. Cette période sera renouvelable si les Etats membres sont d’accord.
En parallèle, le jour où le divorce sera prononcé, le Royaume-Uni ne pourra plus profiter de tous les accords internationaux que l’Union a signé avec des pays tiers. On parle là de dizaines d’accords qui existent. Donc il faudra, mais les avis divergent, dans l’intérêt du Royaume-Uni, que Londres négocie en parallèle le divorce et, de l’autre côté, commence à renégocier dans l’immédiat une relation commerciale avec l’Union européenne, pour pouvoir continuer à faire du commerce dans des conditions privilégiées. Si Londres ne renégocie pas une relation commerciale spécifique à l’UE, le commerce ne s’arrêtera pas du jour au lendemain le jour où le divorce sera prononcé. Mais le problème, c’est que Londres aura accès au marché intérieur comme un pays tiers, avec des droits de douane relativement élevés.
Pierre : Le « Brexit » ne donne-t-il pas plus de chance à l’UE de progresser vers une plus grande intégration, une fois que l’opposition systématique des Anglais aura disparu ?
Les avis sont très partagés. D’abord, il est en partie faux de dire que les Britanniques bloquaient le processus d’intégration européen ces dernières années. Ce qui est vrai, c’est que, depuis deux ans que le référendum se prépare au Royaume-Uni, l’attitude de Londres à Bruxelles n’était clairement pas très constructive. Pour prendre un sujet concret, la fiscalité, ces derniers mois, Bruxelles a adopté beaucoup de textes pour lutter contre l’évasion fiscale et le Royaume-Uni n’était pas le pays le plus bloquant.
Si le Royaume-Uni décide de « prendre son indépendance », comme disent les « Brexiters », on ne peut pas dire que l’Union sera libérée d’un poids. En réalité il faudra une forte volonté politique des 27 pays restants d’avancer. Ce qu’on pense ici à Bruxelles, c’est que l’Europe ne poursuivra pas son intégration politique si la France et l’Allemagne ne décident pas en commun d’avancer.
Jérémi : Donc, jusqu’à présent le Royaume-Uni n’était pas le plus gros frein à l’Europe, mais une fois le référendum passé, s’ils décident de rester, il le deviendra ?
Cela ne tient qu’à lui. Espérons que le Royaume-Uni viendra avec un vrai projet pour faire avancer l’Union. Mais on peut d’ores et déjà anticiper qu’il ne s’agira pas d’un projet pour intégrer davantage politiquement l’Union. Ce n’est pas du tout l’agenda britannique. Ils souhaiteront probablement que l’on accélère les négociations du Tafta, le traité de libre-échange avec les Etats-Unis. Ils encourageront la formation d’un vrai marché unique du numérique, qui n’existe pas du tout aujourd’hui. Ils seront aussi moteur dans les négociations pour faire disparaître les dernières frontières liées à la circulation des capitaux dans l’Union. Mais par contre on peut penser qu’ils décourageront les velléités d’aller vers une Europe fédérale. Plus d’intégration, mais une intégration économique et financière, pas une intégration politique.
Lecteur : Si le « Remain » l’emporte, le Royaume-Uni sera-t-il plus fort au sein de l’UE ?
La réponse est oui, à condition que le « Remain » l’emporte franchement, et qu’il y ait un très fort plébiscite de Cameron et de son agenda pro-européen. Si le « Remain » l’emporte à 56 %, le message sera très très clair et, comme Cameron est le seul leader politique qui a eu le courage de poser cette question existentielle à ses concitoyens, il arrivera à Bruxelles avec très certainement un très, très fort pouvoir de négociation.
Il obtiendra très certainement ce qui a été négocié entre lui et les dirigeants européens en février 2016, lors d’un sommet au cours duquel David Cameron avait obtenu des dérogations à la non-discrimination des citoyens européens, c’est-à-dire que le Royaume-Uni puisse priver de droits sociaux des citoyens de l’Union en Angleterre, même s’ils travaillent. Ce n’est pour l’instant pas possible. Londres aura aussi une forme de droit d’intervention sur les décisions des pays de l’eurozone. Il pourra être consulté systématiquement à chaque décision de l’eurozone. Il obtiendra aussi que les parlements nationaux aient le droit de s’opposer à une législation européenne.
McLeod : Si le Royaume-Uni reste finalement dans l’Union, compte-t-il continuer de demander des aménagements, des ristournes, etc. ?
Au-delà de ce que M. Cameron a négocié, il arrivera probablement à imposer l’agenda britannique dans l’Union, qui est davantage de libre-échange, de libéralisation, la priorité au marché intérieur, et on met en veilleuse les velléités d’intégration politique de l’Union européenne.
Brexit : Selon vous, quels sont les Etats qui seraient susceptibles de faire la même chose que le Royaume-Uni ?
Ce n’est jamais blanc ou noir, c’est toujours un compromis. Les dirigeants des institutions de Bruxelles sont très, très inquiets d’une contagion à d’autres pays de l’Union européenne. Ils ont peur d’une désintégration de l’Union. Pour éviter cela, de leur point de vue, il faut absolument une négociation dure avec Londres, ne pas lui faire de cadeaux. Si on commence à en faire, à négocier une relation avec Londres sans contrepartie – ce qui est la grande demande des « Brexiters » –, c’est-à-dire sans payer sa part au budget européen, c’est le début de la fin de l’Union, parce que tous les pays vont demander un traitement similaire.
Les dirigeants envoient un signal politique et ont dit clairement que, si Londres s’en va, il n’y aura pas de retour possible et il y aura un vrai divorce, la relation avec l’Union ne sera plus la même. Le problème, c’est que rien ne garantit aujourd’hui que les 27 pays de l’Union seront dans cet état d’esprit. A priori Paris et Berlin s’accorderont pour être relativement durs.
François : Est-ce que les fonctionnaires britanniques seront licenciés des institutions européennes et selon quelles modalités (immédiatement, avec dédommagement, etc. ?). On les voit mal négocier le « contrat de séparation » car ils deviendraient juge et partie…
Aujourd’hui, personne n’est capable de répondre précisément à cette question, d’où les inquiétudes des fonctionnaires européens britanniques. Quand on lit les textes, pour être fonctionnaire européen, il faut être ressortissant d’un pays de l’UE. Donc, rien n’empêcherait les institutions de l’Union de prendre acte du « Brexit » et de licencier les quelque 1 500 fonctionnaires européens de nationalité britannique. Mais les syndicats et les dirigeants des institutions pour l’instant parient plutôt sur une négociation, là encore entre Londres et les institutions, pour, espèrent-ils, préserver l’essentiel des postes, assurer le paiement des retraites, et assurer le paiement des fonctionnaires qui pourraient rester en poste. Ce qu’anticipent les syndicats, c’est une négociation où l’on va préserver l’essentiel des postes et déterminer qui va continuer à payer les fonctionnaires qui restent.
Ce qu’on anticipe, mais personne ne peut l’assurer à 100 %, c’est que les fonctionnaires de grade inférieur pourront rester, que ceux qui sont en fin de carrière resteront sûrement parce que ces gens-là ont la plupart du temps fait leur carrière à Bruxelles et n’ont probablement pas du tout envie de repartir. Par contre, les jeunes qui ont leur carrière devant eux n’auront probablement pas envie de rester dans une institution qui leur sera, quelque part, hostile, et où ils n’auront plus de perspectives de carrière.
Tensai : Dans ce « Brexit », on parle très peu de l’avenir des étudiants européens faisant ou souhaitant faire des études universitaires au Royaume-Uni. Actuellement, le coût des études supérieures britanniques s’élève à 9 000 £ pour les étudiants vivant dans l’UE. Augmentera-t-il en cas de « Brexit » ? De même, les bourses seront-elles toujours octroyées par les universités pour étudiants européens ?
A priori, Erasmus sera fini pour les étudiants européens qui veulent étudier dans les prestigieuses universités britanniques, à moins que, dans ces négociations de divorce, les parties décident de maintenir la possibilité de ces programmes. Erasmus étant considéré comme un acquis important, un des rares effets positifs de l’UE pour une grande partie de l’opinion publique, il n’est pas impossible que, dans la négociation, les parties essayent de maintenir la possibilité de ces programmes d’échange, mais dans les textes ils tomberont. Il sera toujours possible d’étudier au Royaume-Uni, mais sans les avantages octroyés par Erasmus.
Chris : « Brexit » ou non, est-ce que l’on envisage après une telle crise de remettre l’Europe à plat, et d’avoir deux vitesses si besoin : ceux qui veulent aller vers une Europe fédéraliste, et ceux qui veulent garder leur autonomie ?
Il y a une vraie prise de conscience chez les dirigeants européens que l’Europe va très mal et que le lien avec les citoyens a été en partie rompu et, quelle que soit l’issue du vote, il faut que cela change. Si les Britanniques partent, certains espèrent encore l’avènement de l’Europe à deux vitesses, qui est une vieille idée, maintes fois remise sur la table, mais la réalité politique aujourd’hui laisse en fait peu d’espoir à ce scénario. Sachant que les pays fondateurs de l’Union divergent énormément sur leur manière d’appréhender son avenir.
On voit par exemple que la France et l’Allemagne n’arrivent pas à se mettre d’accord ne serait-ce que sur l’avenir de l’eurozone. Et il y a des pays comme les Pays-Bas, où l’extrême droite est forte, qui sont l’un des pays fondateurs, et qui ont peu en commun avec l’Italie par exemple, autre pays fondateur, dans leur manière d’appréhender l’avenir de l’Union. Cette idée d’une Europe au sein de laquelle il y aurait un noyau dur des pays fondateurs et une périphérie avec des pays arrivés plus tard qui n’auraient pas le même objectif politique à long terme, aujourd’hui on n’y croit plus trop, parce que les pays fondateurs n’ont plus les mêmes objectifs politiques. Ils ont tous des partis souverainistes en leur sein qui les obligent à des agendas politiques pas très pro-européens.
Il y a une voix qui commence à émerger, celle de Donald Tusk, le président du Conseil européen, ex-premier ministre de la Pologne, qui aujourd’hui a un discours très réaliste et pragmatique sur l’Union, qui a l’avantage d’être un discours que peuvent entendre les pays de l’Est, qui ne conçoivent pas l’Union comme un projet politique mais économique.
Donald Tusk dit depuis plusieurs mois qu’il faut arrêter avec les utopies fédérales parce que les peuples n’en veulent pas, et qu’il faut essayer d’avancer sur ce que nous avons, c’est-à-dire le marché commun, les valeurs démocratiques, et avancer dans la sécurité, une des grandes préoccupations des citoyens de l’Union. Aujourd’hui, ce discours porte auprès des dirigeants européens et le rêve des Etats-Unis d’Europe est désenchanté.