Dans une salle de classe de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance. | Insep

Teddy Riner n’est pas seulement octuple champion du monde et champion olympique de judo. Au compte des victoires du géant des tatamis figure un baccalauréat professionnel en informatique, obtenu de haute lutte, grâce au soutien de ses professeurs de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep).

En cette fin mai, le jour à peine levé, une nouvelle génération de sportifs arpente les couloirs de cet établissement d’Etat, chargé de produire des champions français tout en leur donnant, de la classe de troisième au BTS, les bases académiques indispensables pour leur vie d’après, lorsqu’ils auront mis un terme à leur carrière sportive. Sur les murs blancs, les portraits des aînés olympiens – Lucie Décosse (judo), Thomas Bouhail (gymnastique), Florian Rousseau (cyclisme) – montrent la voie. À leurs côtés, une phrase de Soren Kierkegaard scotchée en guise de boussole : « Ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est le difficile qui est le chemin. »

Efficacité

A 7 h 45, la sonnerie marque le début du cours de mathématiques pour quatorze élèves de terminale S. « Si un vecteur est normal à un plan, il est orthogonal à tout vecteur de ce plan », explique la professeur Hélène Gastin. Trois heures de géométrie sont, de bon matin, à l’ordre du jour. Les exercices s’enchaînent, Blandine la judokate, Sarah la gymnaste, Mathilde la cycliste, Yoann le taekwondiste interrogent, répondent, exécutent. À l’entraînement comme en cours, un contrat tacite engage enseignants, élèves et entraîneurs : l’efficacité.

Dans le microcosme de la compétition internationale, chaque minute compte et doit être optimisée. « Nous mettons en place un cadre qui les équilibre, qui les rassure », explique Xavier Dallet, responsable pédagogique. Les adeptes de l’école buissonnière sont ramenés dans les rails, quel que soit leur palmarès. Tony Yoka, champion du monde de boxe, fut rappelé à l’ordre pour une fâcheuse tendance à sécher les cours d’anglais. Teddy Riner, fréquemment victime de panne d’oreiller, s’est plusieurs fois vu vivement tiré du lit malgré ses 140 kg.

Epuisés

Après une heure de géométrie, quelques minutes de respiration à l’extérieur sont accordées. Mais quatre élèves restent à leur place, posent leur tête entre leurs bras et s’échappent pour une microsieste. « Certains sont épuisés », reconnaît Hélène Gastin. Après 180 minutes de mathématiques, judokas et basketteurs enchaîneront plusieurs heures d’entraînement. L’après-midi commencera par deux heures de devoir sur table, suivie d’une nouvelle session de fondamentaux, dans les différents sports.

Sachant que certaines disciplines très répétitives comme le tennis de table, le badminton, la gymnastique, requièrent de multiplier les exercices pour être performant, durant huit heures par jour en moyenne. Les semaines interminables se bouclent généralement par des compétitions d’un coin à l’autre de l’Hexagone, voire de la planète. Aux efforts physiques quotidiens s’ajoutent les décalages horaires. « Ils apprennent à optimiser chaque minute. Ils sont éloignés de leur famille, ils ont peu de loisirs. Leur vie, c’est le sport et les études, c’est tout », témoigne Hélène Gastin.

Parfois, le sport prend le pas. Un coup d’œil à la liste des présents au cours de mathématiques pour réaliser qu’une dizaine d’élèves manque à l’appel. « Les basketteuses sont excusées », avance un enseignant. À trois semaines du baccalauréat, les jeunes femmes préparent un championnat international, dernière chance de qualification des tricolores pour les Jeux olympiques de Rio, en août. Pas de baccalauréat pour elles en juin, elles passeront les épreuves en septembre. Pas de JO non plus : si l’équipe de basket féminine obtient son ticket pour Rio, seules participeront des joueuses plus âgées et expérimentées que les lycéennes.

Vers un métier

Il arrive cependant que des élèves de terminale soient également appelés à participer aux Jeux olympiques. « Début 2004, la gymnaste Emilie Le Pennec multipliait les contre-performances sportives et les mauvais résultats scolaires à 6 mois des Jeux olympiques d’Athènes. L’équipe sportive et pédagogique a convaincu ses parents de la sortir du lycée jusqu’à la rentrée suivante. Elle est devenue championne olympique et deux ans plus tard, elle a obtenu sont Bac S avec mention », rappelle Hélène Gastin. Une sage précaution, alors que les carrières sont parfois fugaces. Emilie Le Pennec a terminé la sienne à l’age de 20 ans, et est aujourd’hui kinésithérapeute.

Amaury, joueur de hockey, veut faire également kiné ; Ugo, le tennisman, a demandé à poursuivre en langues étrangères appliquées ; Yoann vise, lui, un DUT d’informatique… Comme tout lycéen, la majorité des futurs bacheliers ont effectué leurs choix d’orientation sur la plate-forme Admission post-bac (APB). Certaines fédérations sont particulièrement vigilantes à ce que leurs protégés soient en mesure de suivre des études supérieures qui les mèneront à un métier. « Les sportifs qui viennent du badminton et du taekwondo sont souvent brillants. Ils savent qu’ils ne pourront pas vivre de leur sport. Cela les fait réfléchir », analyse leur enseignante. D’autres s’en moquent, qu’ils soient sportifs ou encadrants.

Blessés

Étudier n’est pas le projet de Killian. Du haut de son double mètre, le jeune homme sourit à son avenir. A la rentrée prochaine, il rejoindra la Gonzaga University dans l’Etat de Washington, aux États-Unis. L’établissement, qui joue en première division américaine, a déjà recruté le jeune basketteur français, mais pas pour ses compétences académiques. « Ceux qui intégreront le sport professionnel savent qu’ils auront d’importants salaires pendant leur carrière sportive et qu’ils pourront la compléter en étant entraîneur », explique Mme Gastin. Difficile, dans cette configuration, de sensibiliser les jeunes sportifs aux subtilités des calculs de cosinus.

Avec 98,6 % de réussite au baccalauréat en 2015, après le 100 % de 2014, l’Insep ouvre presque à coup sûr les portes de l’enseignement supérieur. Toutefois, il ne garantit en rien le succès d’une carrière sportive et aucun jeune n’est à l’abri d’une blessure. « Les fédérations jugent de la sortie ou du maintien des jeunes sportifs dans l’institution », rappelle Xavier Dallet. Blandine, judokate blessée aux jambes en milieu de saison, sait qu’une fois rétablie, elle n’aura que quelques mois pour convaincre de son potentiel.

Idem pour Ugo, le tennisman, qui regarde à la télévision ses camarades d’entraînement jouer à Roland Garros : une blessure au poignet lui interdit de toucher une raquette avant juillet. Ne pas avoir à concilier, comme leurs camarades de la terminale S, entraînements et révisions du bac, ne rend pas Blandine et Ugo sereins pour autant. Si les objectifs fixés ne sont pas atteints, si les blessures s’enchaînent… « on retourne à la maison », lâche Mathilde. Silence dans la classe.