De l’Ethiopie à la Zambie, le parcours contrarié de jeunes migrants qui rêvaient d’Afrique du Sud
De l’Ethiopie à la Zambie, le parcours contrarié de jeunes migrants qui rêvaient d’Afrique du Sud
Par Vincent Defait (contributeur Le Monde Afrique, Addis-Abeba)
Quatorze Ethiopiens mineurs ont été rapatriés à Addis-Abeba début juin après avoir été arrêtés en Zambie. Ils tentaient de rejoindre l’Afrique du Sud.
Sur sa ceinture, Salamo a tracé au stylo bleu le numéro de téléphone de son frère. Celui qui vit en Afrique du Sud d’où, depuis huit ans, il envoie de belles sommes d’argent à Noël et à Pâques. L’aîné a même pu se faire construire une maison au village, dans le sud de l’Ethiopie.
La dernière fois qu’il l’a appelé, Salamo était dans une prison en Zambie, à 1 500 km et deux frontières de son frère. L’adolescent de 15 ans venait de passer près de six mois sur les routes, il avait dormi dans des forêts et des dortoirs poisseux, traversé trois pays à pied, à l’arrière d’une moto ou caché dans un minibus. « Je regrette d’être parti, bien sûr. »
Assis sur un lit superposé, Salamo fait des boulettes avec les peluches de la couverture. Nerveux, il se raconte. De la chambre du centre de transit pour mineurs, Addis-Abeba s’entend à peine. Il y séjourne depuis son rapatriement, samedi 4 juin. Bientôt, quand les employés de l’Office international des migrations (OIM) et de l’Unicef auront confirmé son identité et repris contact avec ses parents, il retournera chez lui.
L’Afrique du Sud, une destination rêvée
En 2015, sur les 6 694 Ethiopiens rapatriés, le centre a vu passer 593 mineurs. A la mi-2016, ils étaient 269. Combien prennent-ils la route chaque année ? Difficile à dire. « Nous n’avons pas de données sur les gens qui empruntent des canaux illégaux », admet Maureen Achieng, représentante de l’OIM en Ethiopie et auprès de l’Union africaine. « Mais il semble que de plus en plus de mineurs migrent ainsi. » On sait seulement que les routes migratoires africaines sinuent sur le continent, en débordent rarement, contrairement aux idées reçues en Europe. Pour les Ethiopiens, l’Afrique du Sud est une destination rêvée.
« C’est mon frère qui a payé pour mon voyage », poursuit Salamo. Combien ? Il n’en sait rien. Pas plus qu’après le Kenya, la Tanzanie et la Zambie, il fallait encore traverser le Zimbabwe, ou le Malawi et le Mozambique suivant les réseaux de passeurs. A mi-parcours, il avait déjà été entre les mains d’une poignée d’entre eux. Mis à part quelques jours d’errance en Zambie, ceux-ci avaient assuré le passage des frontières quasiment sans encombre à des groupes entiers de candidats au départ. « C’est triste à dire, mais des fois les passeurs sont bien mieux organisés que les gouvernements », reconnaît Maureen Achieng.
Salamo a été arrêté avec d’autres Ethiopiens, dont quatorze mineurs, par des policiers zambiens trop gourmands pour le budget des passeurs. Il a ensuite séjourné un mois en détention avant que l’OIM ne puisse prendre en charge son rapatriement en Ethiopie. De retour au village, de nouveau, il gagnera sans doute un peu d’argent en vendant des bananes. Environ 2 000 birrs (80 euros) les bons mois. Peut-être tentera-t-il encore sa chance vers l’Afrique du Sud. Il promet qu’on ne l’y reprendra plus. L’Europe ? Il ne l’a jamais envisagé.
« L’espoir d’une vie meilleure »
Comme l’immense majorité des Africains, Salamo ne lorgne pas vers le Nord, mais vers le Sud. Les Ethiopiens visent d’abord le Kenya ou le Soudan. Avec plus de moyens, beaucoup prennent la route de l’Afrique du Sud. Ceux qui sortent du continent vont le plus souvent au Moyen-Orient, au risque d’être torturé et rançonné dans un Yémen en guerre. Une minorité, mieux éduquée et plus argentée, tente sa chance vers l’Europe.
« Le mythe veut que c’soit la pauvreté qui pousse les gens à migrer. C’est plutôt l’espoir d’une vie meilleure. Souvent, c’est même le développement qui induit plus de départs parce que les infrastructures le permettent, parce que les communications sont meilleures, parce qu’on en a les moyens », détaille Maureen Achieng.
Chez lui, Daguenet, 13 ans, rapportait régulièrement 5 000 birrs (200 euros) à sa famille en fendant des bûches qu’il vendait ensuite au bourg voisin. Le salaire d’un cadre de la fonction publique. De quoi disparaître des statistiques de la pauvreté. Rapatrié en même temps que Salamo, Daguenet partage une chambre avec cinq autres mineurs. Sur chaque lit, un sac à dos, c’est tout. Ils sont revenus les mains vides. L’Unicef et l’OIM leur ont distribué des vêtements, des chaussures et des produits de toilette.
Cinq mois d’errance dans quatre pays
« J’ai un ami en Afrique du Sud, il coupait du bois avec moi. Aujourd’hui, il envoie de l’argent à sa famille. Je me suis dit que je pouvais faire pareil, que je pouvais travailler dans un magasin là-bas. C’est lui qui m’a dit où aller, qui contacter. » Il a des mains de bûcheron, mais le regard hésitant d’un gamin. Il retournera à l’école, promet-il devant le travailleur social du centre de transit. Cinq mois d’errance dans quatre pays l’ont convaincu de rester au village. L’ami a tout payé, pour rien.
En général, « les enfants ont le sentiment d’avoir laissé tomber leur famille et échoué à satisfaire leurs attentes, assure Mini Bhaskar, de l’Unicef. Ils cherchent souvent à repartir pour aider leur famille à surmonter le fardeau financier résultant de leur départ hors du pays. »
A 15 ans, Desalegn aurait pu rester à Addis-Abeba, « la plus belle des villes ». Pas pour aller à l’école, qu’il a abandonnée il y a longtemps. Les affaires familiales se portent bien, mais l’aîné, en Afrique du Sud depuis quatorze ans où il se remplit les poches en prêchant dans les églises évangélistes, lui a donné envie de l’imiter. Desalegn sourit et se tord les doigts. « C’était dur. » Six mois après son départ de la capitale éthiopienne, de longs trajets en bus, des passages de frontières nocturnes et des nuits dehors, l’adolescent rêve plutôt d’avoir, un jour, sa petite entreprise. Et de rentrer à la maison tous les soirs.