L’entretien n’a duré qu’une dizaine de minutes. C’est en pantoufles, entouré de son épouse, de son secrétaire particulier, l’abbé Théodore, et de Raphaël Katebe Katoto, le frère aîné de Moïse Katumbi, qu’Etienne Tshisekedi nous a reçus dans la chambre 218 de Château du Lac à Genval. Le luxueux hôtel, situé à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Bruxelles, abritait les 8 et 9 juin le « conclave » de l’opposition au président congolais Joseph Kabila. Le vieux leader de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), qui se déplace difficilement, a introduit et conclu le rassemblement. « Le président est fatigué », confie son secrétaire.

Etes-vous satisfait de la tournure qu’a pris la réunion ?

Etienne Tshisekedi Absolument, absolument… Je suis ça de très près et je suis satisfait.

Vous pensez que l’opposition va réussir à constituer un front uni face à Joseph Kabila ?

Absolument. Ce n’est pas pour rien qu’ils sont là.

Regrettez-vous l’absence de Vital Kamerhe, président de l’Union pour la nation congolaise et poids lourd de la Dynamique de l’opposition ?

Non, non, non. Ça ne change absolument rien.

Est-ce que vous vous imaginez en président d’une éventuelle transition ?

C’est ce que je suis, oui.

Vous pensez en avoir les moyens ?

Absolument, absolument. Je suis prêt, je me suis apprêté à ça.

Vous êtes quand même un peu malade…

Non, non, non. La maladie, c’est terminé.

[L’abbé Théodore confirme : « Il était malade, c’est fini. »]

Ne craignez-vous pas d’être manipulé par d’autres figures de l’opposition qui utiliserait votre poids politique pour servir leurs propres ambitions ?

Non, enfin je ne sais pas…

[L’abbé Théodore précise : « On est vigilant. »]

Nous sommes décidés à être ensemble et à faire partir Kabila le jour où il doit partir, c’est-à-dire le 19 décembre.

Et s’il est toujours au pouvoir le 20 décembre, que ferez-vous ?

Peu importe, retenez simplement... [M. Tshisekedi ne termine pas sa phrase]

Seriez-vous prêt à mobiliser vos partisans, à leur dire de descendre dans la rue ?

[L’abbé Théodore risque un : « C’est ça… »]

Il y a beaucoup de moyens.

[Raphaël Katebe Katoto ajoute : « La Constitution nous y autorise. Et je voudrais ajouter une chose : le président est assez grand, c’est un vieux routier, il connaît tout le monde. Si quelqu’un essayait de l’utiliser pour d’autres fins, il saurait quoi faire. »]

Vous avez connu et résisté à Mobutu…

Oui, voilà. (Rires.)

… vous avez connu les Kabila père et fils et leur avez résisté aussi.

Absolument.

N’avez-vous pas créé un métier, celui d’opposant à vie ?

Non… A vie, à vie… J’ai le résultat tout prêt là-bas. Il fallait absolument résister contre toutes ces manœuvres parce que je savais que la démocratie finirait par s’introduire au Congo.

Pensez-vous que ce moment est venu ?

Absolument, absolument, absolument. Le peuple est mûr et tout est prêt. Il n’y a pas de problème. Je vous fais savoir que Kabila a volé ma victoire le 28 décembre 2011. Il n’était rien, il n’était rien ! Il a des militaires, c’est comme ça qu’il a fait.

Après autant d’années passées en politique, avez-vous des regrets ?

Non, sinon je ne vivrais que de ça. Nous allons de l’avant.

Vous avez 83 ans. Si vous deveniez président de transition, n’y aurait-il pas un décalage entre vous et la population congolaise, dont plus de la moitié à moins de 15 ans ?

Non, parce que ces jeunes-là connaissent mon histoire. Je suis le seul à résister constamment. Tous ces jeunes veulent mon exemple.

[Raphaël Katebe Katoto renchérit : « Le président Tshisekedi, c’est leur modèle, ils se retrouvent en lui, dans ses valeurs. Le combat qu’il a mené pendant des années, c’est la référence pour les Congolais. Il n’est pas en décalage. Ces gens-là sont derrière lui. L’homme de la situation, celui qui va sauver le pays, c’est lui. Le sauveur du Congo, c’est lui. Il n’y a pas d’autre issue. »]

A quoi ressemblerait le Congo dirigé par Etienne Tshisekedi ?

Ce sera le développement, la vraie justice, l’Etat de droit. Les investisseurs n’attendent que ça. Les Congolais seront avec moi pour que chacun prenne ses responsabilités. Nous avons cinquante-sept ans de recul, de misère et tout ça. Tout le monde comprendra qu’il ne faut plus voler, qu’il faut rendre.

Vous vivez en Belgique depuis 2014. A quoi occupez-vous votre temps ? Comment restez-vous en prise avec ce qui se passe en RDC ?

Je reçois tout le temps et j’ai les gens au téléphone.

[Mme Tshisekedi précise : « Ici c’est bien parce que c’est tranquille. Il travaille très bien. »]

La question de votre succession à la tête de l’UDPS se posera un jour. Comptez-vous léguer le parti à votre fils Félix ?

Je préside un parti qui est tout à fait démocratique. Je disparais et il y a des délais pour organiser un congrès. Si jamais les Congolais pensent que c’est à Félix de me succéder, il me succédera.

Pensez-vous que le candidat à la présidentielle Moïse Katumbi ferait un bon président du Congo ?

Je me réserve. C’est une question pour le futur.