Euro 2016 : Dimitri Payet, l’art du rebond
Euro 2016 : Dimitri Payet, l’art du rebond
Par Clément Guillou, Adrien Pécout
Ecarté de l’équipe de France fin 2015, le meilleur Bleu face à la Roumanie est devenu un joueur essentiel pour Didier Deschamps, qui lui a donné la confiance qu’il réclamait.
Dimitri Payet lors du match d’ouverture de l’Euro 2016 face à la Roumanie. | KENZO TRIBOUILLARD / AFP
Il n’est sûrement pas « meilleur que Zidane », comme le chantent à chaque match les supporteurs enamourés de West Ham, ou alors Dimitri Payet jouerait dans un club plus coté. Mais le Réunionnais a rappelé vendredi 10 juin à un public français qui le connaît trop peu qu’il possédait quelques qualités balle au pied et, surtout, une magnifique frappe de balle.
Tout au long du match inaugural de l’Euro 2016 face à la Roumanie, Payet aura régalé le public du Stade de France avec ses contrôles soyeux, râteaux humiliants et centres toujours justes, pour finalement le délivrer à la 89e minute d’une frappe du gauche aussi précise qu’inattendue.
C’est le premier bon moment sous le maillot bleu d’un joueur qui a longtemps alterné bonnes et mauvaises saisons, coups de sang et coups de génie. Sa relation avec l’équipe de France de Didier Deschamps n’a jamais été simple. Il fut de tous les mauvais souvenirs : la désastreuse tournée en Amérique du Sud (juin 2013), la défaite en match amical face à l’Albanie (1-0) deux ans plus tard, à l’issue de laquelle le sélectionneur avait fustigé le manque d’implication de certains. Payet pouvait légitimement se sentir visé.
Durant neuf mois, il n’est plus des rassemblements de l’équipe de France, et le fait savoir en octobre 2015 dans L’Equipe :
« Je le ressens comme une injustice. Cela fait plus d’un an que je suis au meilleur niveau de ma carrière, même si je peux encore progresser. Donc, pour moi, c’est injuste de ne pas figurer en équipe de France, oui. »
Une réputation de garçon compliqué
Malgré une campagne de presse en sa faveur, liée à ses performances en Premier League anglaise, il ne revient qu’en mars 2016 au centre national de Clairefontaine, sur la pointe des pieds. Deschamps et lui crèvent l’abcès et il flambe en match amical face aux Pays-Bas (victoire 3-2), imposant par son talent et son art du coup-franc sa présence à l’Euro. « Il n’y a jamais eu de malaise entre le sélectionneur et moi. Il fallait se dire les choses, on l’a fait », affirme alors le Réunionnais.
Toujours à L’Equipe, Dimitri Payet émettait l’hypothèse que sa réputation de garçon compliqué (« J’entends des bruits comme quoi je serais mal vu en sélection ») jouait sans doute un rôle dans sa mise à l’écart, surtout à l’époque où Mathieu Valbuena, avec qui ses relations sont glaciales, était encore incontournable en équipe de France :
« Quand j’ai envie de faire chier le monde, je sais très bien comment faire… Même si c’est un peu moins le cas maintenant, je me braque vite et je deviens sourd. Mais ce n’est pas bon pour moi ou l’équipe. »
Payet, après son but. | Lee Smith / REUTERS
Dimitri Payet maîtrise l’art du rebond, toute sa carrière en atteste. Enfant, il fourbit ses premières frappes à Saint-Pierre de la Réunion, dans les équipes de jeunes de la bien nommée Jeunesse sportive saint-pierroise, l’ancien club du Camerounais Roger Milla.
Mais très vite, le centre de formation du Havre se montre intéressé. A l’âge de 12 ans, première tentative en métropole. Le soleil réunionnais puis la grisaille normande. En météorologie, on appelle cela un climat changeant et en football, un transfert compliqué. Trop, sans doute, quand on entre à peine dans l’adolescence : Payet rentre quatre saisons plus tard sur son île natale pour se refaire une confiance sous le maillot de l’Excelsior.
Le deuxième essai est finalement le bon : en 2004, presque majeur, l’avant-centre intègre cette fois le prestigieux centre de formation de Nantes, où il passe en parallèle des entraînements un BEP de vente.
Quand Dimitri Payet se partageait entre le FC Nantes et le prêt-à-porter
Durée : 02:21
L’apprenti a les honneurs d’une émission sur Arte, « L’Académie du foot » (2006), qui retrace la formation de jeunes footballeurs nantais. La voix off du comédien Laurent Deutsch, avant qu’il ne s’amuse à jouer les historiens, présente Dimitri comme « le buteur de l’équipe ». Ses coéquipiers de l’époque ont pour nom Vincent Briant, gardien de but, Fréjus Tchetgna, milieu de terrain, ou encore Francisco Donzelot, défenseur. Tous perdus de vue aujourd’hui.
Nantes, Saint-Etienne, Lille puis Marseille
Dès la saison suivante, avec l’effectif pro, le joueur fait ses débuts sur les terrains de Ligue 1. Deux saisons encourageantes avec les Canaris nantais lui ouvrent ensuite la cage aux oiseaux. Payet signe ensuite quatre ans chez les Verts de Saint-Etienne puis deux à Lille : le temps de soigner sa réputation de dribbleur et mauvaise tête (il se brouille avec son coéquipier stéphanois Blaise Matuidi), d’enrichir ses statistiques et de faire connaissance avec l’équipe de France.
Lorsqu’Eden Hazard quitte le Nord, Dimitri Payet prend les clés du LOSC et signe un « double-double » rare en Ligue 1 : 12 buts et 12 passes décisives pour sa deuxième saison. Marseille investit dix millions d’euros pour lui faire traverser la France.
Là encore, il doit attendre que Mathieu Valbuena quitte l’équipe pour donner sa pleine mesure. Lors de la saison 2014-15, à force d’offrandes à André-Pierre Gignac, Dimitri Payet finit meilleur passeur du championnat. Gignac finit le championnat à 23 buts, Payet, à 16 passes décisives.
L’effet Marcelo Bielsa, selon Payet, reconnaissant envers le coach argentin, « El Loco » (le « fou »), qui emballa l’OM durant cette saison :
« Oui, il m’a fait devenir plus mature et régulier. Savoir quand il faut jouer simple, quand il faut provoquer… Il a mis de l’ordre dans mon jeu, et je me sens épanoui. On voit que son départ de l’OM a laissé des traces. J’ai toujours en tête certains de ses conseils, et ils me serviront jusqu’à la fin de ma carrière. (...) La période marseillaise m’a fait gagner en maturité. Quand on a joué à l’OM, on peut jouer partout. »
Les propos, tenus dans L’Equipe, datent d’octobre 2015. A l’époque, tout comme Gignac, Payet a déjà quitté l’Olympique de Marseille, ses luttes de pouvoir, son équipe laissée comme à l’abandon... et ses possibilités financières limitées.
Didier Deschamps félicite Dimitri Payet à sa sortie du terrain, face à la Roumanie. | John Sibley / REUTERS
Payet et Vincent Labrune, le président de l’OM, se renvoient la responsabilité du départ mais la polémique ne perturbe pas son début de saison. Rapidement, l’Angleterre s’interroge : comment West Ham a pu mettre la main sur un tel joueur ? Quelques matchs à peine et Payet devient l’idole des Hammers. Il est élu par ses pairs en fin de saison dans l’équipe type des meilleurs joueurs du championnat.
Face aux offensives de Chine et aux marques d’intérêts de grands clubs européens, West Ham a prolongé son joyau jusqu’en 2021, lui offrant le plus gros salaire de l’histoire du club (8,2 millions d’euros par an).
Si Bielsa a été un déclic, Slaven Bilic, l’entraîneur croate du club londonien, a aussi mis Payet dans les meilleures conditions : « J’ai la chance aujourd’hui d’avoir Bilic qui a tout fait pour que je vienne et qui fait tout pour que je sois épanoui sur le terrain », disait-il en mars lors d’un rassemblement en équipe de France.
Selon Payet, la confiance qui l’habite est l’élément qui lui manquait jusqu’à présent pour faire décoller sa carrière. C’est aussi, sans doute, celle qui lui a permis de tenter cette frappe des 20 mètres dans la dernière minute d’un match d’ouverture de l’Euro. Et celle que Deschamps a souhaité entretenir en lui offrant une ovation debout du Stade de France une minute plus tard.