« Frances Ha » : une génération qui déménage
« Frances Ha » : une génération qui déménage
Par Isabelle Regnier
De déconvenue en victoire, Noah Bauchman raconte la mue d’une jeune fille en « vraie » personne. Un film plein de charme, à (re) découvrir (mercredi 15 juin à 20 h 55 sur Arte).
Frances Ha - Bande annonce VOST
Durée : 01:42
De déconvenue en victoire, de coloc en coloc, Noah Bauchman raconte la mue d’une jeune fille en « vraie » personne. Un film plein de charme, à (re) découvrir.
Frances Ha est un film de génération. Son charme réside dans sa musique singulière, produit d’un alliage entre des personnages hyper-contemporains et une mise en scène flirtant avec le rétro. Tourné en noir et blanc, à New York, dans un milieu artistico-intellectuel qui évoque le cinéma de Woody Allen, le film regorge de clins d’œil à la Nouvelle Vague, ou encore au cinéaste Whit Stillman et à son amour de la musique disco.
Frances (Greta Gerwig), jeune fille en fleur et apprentie danseuse, ultra-contemporaine et totalement rétro. | PINE DISTRICT/LLC.
Au montage, un jeu d’accélérations inopinées, d’ellipses, de burlesque distancié, dialogue avec une ligne de basse sourde et mélancolique. Le résultat, léger et aérien, pétillant comme du champagne rosé, reflète la rencontre entre le style délicat de l’auteur de Greenberg, des Berkman se séparent et celui de son actrice Greta Gerwig, devenue co-scénariste pour l’occasion, qui a de toute évidence mis beaucoup d’elle-même dans son personnage.
Greta Gerwig joue donc Frances, jeune fille en fleur et apprentie danseuse, ultra-contemporaine et totalement rétro. Elle vit en colocation avec sa meilleure amie, Sophie, qui occupe dans sa vie une place énorme, comme souvent les meilleures amies à ce stade de la vie. « Sophie, c’est une autre version de moi-même », résume-t-elle.
Three Reasons: Frances Ha
Durée : 01:38
Aussi, quand Sophie lui annonce qu’elle déménage dans un quartier plus cher, avec une autre colocataire, Frances tombe-t-elle de haut. Et elle retombe une seconde fois, peu de temps après, quand la compagnie qu’elle aspirait à intégrer lui propose, au lieu de la place de danseuse dont elle rêvait, un job de standardiste.
Arrachement, blessure, deuil
Il ne fait pas de doute que beaucoup de jeunes filles, ou d’ex-jeunes filles se reconnaîtront dans ce portrait de personnage féminin qui s’invente sans avoir besoin d’une histoire d’amour, pour qui les flirts s’intègrent dans un contexte relationnel et imaginaire plus vaste, où comptent plus l’amitié, le groupe, la découverte du monde…
Frances ne se voit pas comme une victime et le film ne la traite pas comme telle. On a juste un peu mal pour elle, car sous le joli vernis de ce monde des artistes new-yorkais, la compétition est féroce. Ceux-ci vont accompagner sa mue, de l’état de chenille à celui de jeune papillon.
Devenir une « vraie personne », de fait, ne va pas sans une part d’arrachement, de blessure, de deuil. Pour les mesurer, Noah Baumbach choisit l’immobilier, le plus puissant des marqueurs sociaux dans une ville comme New York.
Depuis la première scène, où son petit ami lui propose de vivre avec elle jusqu’au moment où, complètement perdue, elle se ruine pour profiter d’un appartement qu’on lui prête à Paris, en passant par différents hébergements plus ou moins précaires, chaque nouvelle étape dans la mue de Frances, chaque nouvelle victoire, chaque nouvelle déconvenue, se traduit par un déménagement.
Cette critique à peine voilée de l’imbrication des rapports humains et des rapports d’argent en induit une autre sur la nécessité d’afficher en toutes circonstances un masque de gagnant.
Avec une vaillance touchante, Frances encaisse sans jamais cesser de jouer selon les règles – quitte à mentir, quitte à se mentir, ses petites mythomanies induisant toutes sortes de situations gaguesques.
Epousant le point de vue de son personnage, orgueilleux et obstiné, le film laisse cette dimension critique flotter en suspens, sans l’approfondir. Mais en donnant des raisons à tous ses personnages, en leur offrant une chance d’être sauvés, il évite élégamment l’écueil du cynisme.
« Frances Ha », de Noah Baumbach. Avec Greta Gerwig, Adam Driver, Mickey Sumner, Michael Esper (Etats-Unis, 2012, 80 min). Mercredi 15 juin à 20 h 55 sur Arte. Rediffusions le vendredi 17 juin à 13 h 35 et le mercredi 6 juillet à 0 h 30.
Affiche de « Frances Ha ». | DR