Immobilier : changer d’agence n’est pas tromper
Immobilier : changer d’agence n’est pas tromper
Par Aurélie Blondel
Jurisprudence. Argent, famille, immobilier… toutes les semaines nous décryptons les derniers arrêts de la Cour de cassation et leurs conséquences.
Un code civil, à la Cour de cassation, à Paris, la plus haute juridiction civile française, le 14 janvier. | LIONEL BONAVENTURE/AFP
Argent, famille, immobilier… toutes les semaines nous décryptons les derniers arrêts de la Cour de cassation et leurs conséquences.
- On peut être infidèle à son agence immobilière
Visiter un logement avec une agence, pour finalement l’acheter avec une autre, c’est possible. La longue histoire de ce couple d’acheteurs le montre. Les faits remontent au printemps 2010. M. et Mme X visitent une maison avec une agence rouennaise, le cabinet Delaitre Immobilier. Prix affiché : 483 000 euros, dont 23 000 euros de frais d’agence. Intéressés, ils tentent une offre à 460 000 euros, incluant la commission de 23 000 euros. Cette offre est rejetée par les vendeurs le 1er avril.
Mais dès le lendemain, M. et Mme X signent avec un autre cabinet, Actuel Immobilier, une lettre d’intention d’achat pour la même maison. Le prix ? 475 000 euros, dont 8 000 euros de frais d’agence. Plus intéressant, forcément… Et cette fois, M. et Mme X obtiennent le bien.
Ayant perdu la vente, donc sa commission, le cabinet Delaitre réclame réparation à notre couple d’acquéreurs, en justice, estimant qu’ils étaient liés par leur première offre et ce jusqu’au 6 avril.
En première instance, le tribunal suit le cabinet Delaitre. Mais début 2015, la cour d’appel de Rouen infirme ce jugement, notant qu’aucune faute n’est imputable aux acheteurs.
Pourquoi ce revirement ? « Si l’acquéreur n’a pas missionné l’agence, il n’est pas contractuellement lié à elle », explique Sophie Droller-Bolela, juriste dans un cabinet de notaires parisien et auteure d’un blog juridique. La seconde agence n’a rien à se reprocher non plus, dans la mesure où elle était aussi mandatée par le vendeur.
La Cour de cassation a confirmé le 6 avril ce jugement d’appel. Le cabinet Delaitre s’est même vu condamner à payer 3 000 euros aux acheteurs qu’il poursuivait.
« Ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation émet un arrêt allant dans ce sens, souligne Mme Droller-Bolela. En revanche, il est intéressant de noter que cet arrêt ne réfute pas la possibilité d’une indemnisation du préjudice par l’acquéreur en cas de faute, dans le cas par exemple d’une collusion frauduleuse entre l’acheteur et la seconde agence ou le vendeur. »
- En immobilier, gare à la frontière entre consommateur et professionnel
Vous empruntez de l’argent pour financer des opérations immobilières ? Attention, vous n’aurez pas droit à certains mécanismes de protection habituellement accordés au consommateur, a rappelé la Cour de cassation le 14 avril.
A l’origine de l’affaire, deux prêts souscrits par Nadine X, se présentant comme une retraitée sans activité professionnelle. Le premier en 2006 (570 000 euros), le second en 2008 (170 000 euros) servant à faire construire plusieurs maisons.
A la suite d’impayés, la banque engage une action à son encontre. Résultat : en avril 2012, notre retraitée est sommée de régler ce qu’elle doit, sous peine d’être contrainte à vendre ses biens immobiliers. Elle conteste. Son argument : l’action de la banque intervient au-delà du délai de prescription de deux ans énoncé à l’article L 137-2 du code de la consommation. La justice lui donne raison.
Oui mais la banque fait appel, et fin 2014, la cour d’appel de Nîmes infirme le jugement de première instance. Selon elle, la banque a bien agi dans les temps : le délai de prescription n’est en effet ici pas de deux ans, mais de cinq.
Pourquoi ce changement ? En fait, le code de la consommation ne s’applique pas à Nadine X : elle n’est plus considérée par la cour comme une consommatrice mais comme une professionnelle, car ses prêts visaient à financer une « opération de promotion immobilière ». La prescription biennale ne concerne, en effet, pas les crédits servant « a financer une activité professionnelle » procurant « des immeubles ou fractions d’immeubles ».
La retraitée a eu beau expliquer que les financements étaient voués à la fois à construire sa résidence principale et des logements destinés à la vente et la location, elle n’a pas été suivie. Nadine X a ensuite tenté sa chance en cassation, sans succès.
« La frontière est mince entre professionnel et consommateur », note Sophie Droller-Bolela. Le fait d’acheter pour des besoins autres que personnels fait basculer l’emprunteur dans la sphère du professionnel, même si les revenus tirés de cette activité sont minimes par rapport à ceux de son activité principale.