« Jawad le logeur » devrait échapper aux poursuites pour terrorisme
« Jawad le logeur » devrait échapper aux poursuites pour terrorisme
Par Soren Seelow
Sa mise en examen peu après l’assaut de Saint-Denis pour « association de malfaiteurs terroristes » pourrait être requalifiée en simple recel de malfaiteurs.
Jawad Bendaoud parle sur BFMTV le 25 novembre au moment de l’assaut de son appartement loué par Abdelhamid Abaaoud. | - / AFP
Il avait surgi comme un diable hors de sa boîte devant les caméras de télévision. Ce 18 novembre 2015 à 7 h 20, l’assaut contre l’appartement de Saint-Denis où étaient retranchés Abdelhamid Abaaoud et ses complices était en cours lorsque l’homme qui les a hébergés était interpellé en direct sur BFM. « J’ai rendu service ! », s’offusquait-il devant la France entière. Jawad Bendaoud, marchand de sommeil sans scrupule, venait de gagner son surnom : « Jawad le logeur ».
Devenu la risée d’Internet, ce délinquant de 29 ans à la réputation établie dans les rues de Saint-Denis a été mis en examen le 24 novembre 2015 pour « association de malfaiteurs terroristes en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes d’atteinte aux personnes », un crime passible de vingt ans de prison. Mais six mois après son interpellation, le destin judiciaire du premier suspect interpellé dans l’enquête sur les attentats de Paris pourrait connaître un revirement inattendu.
Ses avocats, Xavier Nogueras et Marie Pompéi Cullin, ont déposé mi-mai une demande d’acte afin que leur client soit placé sous le statut de témoin assisté – et donc libéré sur-le-champ – arguant du fait qu’il ignorait l’identité de ses hôtes. Selon une source judiciaire, cette demande a peu de chances d’aboutir.
Recel de malfaiteurs
Le cas échéant, les défenseurs de Jawad Bendaoud demandent à ce que sa mise en examen criminelle soit requalifiée en simple recel de malfaiteurs et disjointe de la procédure terroriste. Jawad Bendaoud serait alors jugé séparément des autres acteurs du dossier, et dans un avenir proche. Il encourrait trois ans de prison devant un tribunal correctionnel, au lieu de vingt devant une cour d’assises.
Selon une source judiciaire, c’est cette deuxième hypothèse qui devrait être retenue par les magistrats instructeurs. Le juge Christophe Teissier l’a lui-même confié, mardi 24 mai, aux parties civiles et à leurs avocats rassemblés à l’Ecole militaire. Sauf spectaculaire rebondissement de l’enquête, il pourrait notifier au « logeur » sa requalification en simple recel de malfaiteurs lors de sa prochaine audition, prévue le 16 juin.
Le maintien de Jawad Bendaoud dans l’actuelle procédure criminelle terroriste supposerait de démontrer deux éléments : soit qu’il était en lien avec les commandos avant les attentats du 13 novembre, soit qu’il en a hébergé certains le 17 novembre en sachant qu’ils préparaient une nouvelle attaque.
Prostituée belge
Le premier point s’est effondré il y a quelques semaines. Les principales charges reposaient sur la téléphonie : Jawad Bendaoud a été en contact le 3 novembre avec une ligne belge, elle-même en lien avec un autre numéro belge ayant borné le soir du 13 novembre à proximité des sites des attentats, à Saint-Denis, puis dans le 9e arrondissement.
Mais l’audition par la police belge du propriétaire de cette ligne a finalement permis d’écarter tout soupçon : il s’agissait en réalité d’une escort girl, venue spécialement à Paris pour rejoindre un client, comme l’avait révélé Le Parisien fin février. L’hypothèse d’une complicité du « logeur » avec les assaillants du 13 novembre s’effondrait brutalement.
Pour autant, Jawad Bendaoud a-t-il pu ne pas se douter qu’il hébergeait des fugitifs, quatre jours seulement après les attentats du 13 novembre ? Le 20 novembre, il avait lui-même reconnu dans les locaux de la DGSI s’être posé des questions sur ses nouveaux locataires au moment de les accueillir dans son squat : « J’ai douté, il y avait un truc pas clair (…), mais je voulais l’argent. »
C’est là que la demande d’acte de ses avocats soulève un point de droit intéressant. Elle se fonde sur l’article 434-6 du code pénal qui prévoit que « le fait de fournir à la personne auteur ou complice d’un crime ou d’un acte de terrorisme un logement (…) ou tout autre moyen de la soustraire aux recherches ou à l’arrestation » est un délit passible de trois ans d’emprisonnement.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, le fait d’héberger en connaissance de cause un terroriste en cavale n’est pas considéré comme une infraction terroriste, mais comme un simple délit de droit commun. L’association de malfaiteur terroriste criminelle décrit au contraire une infraction « en vue de » préparer une action terroriste, ce qui supposerait que Jawad Bendaoud était au courant d’un projet d’attentat.
L’appartement loué par Jawad Bendaoud après l’assaut par le RAID le 18 novembre. | JOEL SAGET / AFP
Or son avocat, Xavier Nogueras, rappelle qu’aucun élément du dossier ne permet d’affirmer que son client connaissait les intentions criminelles de ses invités, à savoir une attaque dans le quartier de la Défense prévue quelques jours plus tard. Dans une lettre envoyée le 25 mars depuis sa cellule aux juges d’instruction, Jawad Bendaoud clame son innocence, dans ce style si tonique qui a fait sa renommée médiatique :
« La seule fois où j’ai vu des explosifs, c’est sur’’Special investigation’’ ou dans des films d’action. Alors pourquoi je suis incarcéré sous les chefs d’accusation qui ne me concerne pas. J’ai envie de tous vous mettre des giffles dans la gueule [la phrase a été gribouillée mais reste lisible]. (…) Le 17 novembre j’ai vu Abaaoud et son complice un peu plus de cinq minutes, moins de dix minutes, vous croyez quoi que je suis profiler pour savoir ce qu’il a fait avant d’arriver chez moi et ce qu’il allait faire les jours à venir. »
« Je vais pêter un plomb »
Les premières phrases de cette lettre sont rédigées avec application, collées aux lignes du cahier. Les pages suivantes, écrites en lettres capitales de taille croissante, racontent une colère grandissante. « Il faut que je vous le redise en chinois (…) putain de merde, c’est quand que vous allez comprendre. (…) Je veux sortir de l’isolement je vais peter un plomb ! ! (…) Je ne connais aucun membre d’une cellule terroriste. Je ne prie pas !!! Pourquoi je suis isoler je veux sortir de l’isolement !!! »
Outre quelques maladresses d’expression, ce courrier témoigne du caractère ombrageux de Jawad Bendaoud, qui a passé le plus clair de son temps en détention ces dernières années. Il a notamment été condamné en 2008 à huit ans de prison pour avoir malencontreusement poignardé son meilleur ami, qui tentait de s’interposer lors d’une dispute.
Cet ami, David, est mort rue du Corbillon, à l’endroit même où a atterri la tête de Chakib Akrouh, le complice d’Abaaoud, après qu’il eut déclenché sa ceinture explosive lors de l’assaut contre l’appartement de Saint-Denis. Jawad Bendaoud a confié à son avocat y voir le signe d’une malédiction. D’autres y verront la marque d’un talent peu commun pour se retrouver en prison.