Trois excellents films font du noir la couleur la plus éclatante de la semaine. Un polar, un mélo, une comédie, qui rhabillent la famille en sombre. Pendant ce temps, venu du Front populaire, un film méconnu de Jean Renoir hisse le drapeau rouge.

UN BRILLANT POLAR : « Diamant noir », d’Arthur Harari

DIAMANT NOIR Bande Annonce (2016)
Durée : 01:44

Arthur Harari signe, pour son premier long-métrage, un film qui éveille la réminiscence du Little Odessa (1994), de l’Américain James Gray. Même jeu intense et élégant entre le film noir et la tragédie antique, même obsession lancinante de la vengeance et de la réparation, même attachement au modèle familial comme révélateur du système social, même justesse ciselée dans la mise en place de l’atmosphère et la conduite des acteurs, même sentiment de révélation d’un talent puissamment inspiré. Toutes choses étant naturellement égales par ailleurs, il resterait à imaginer la transposition des mœurs de la mafia judéo-russe de Brooklyn dans le milieu des diamantaires d’Anvers, sur fond de petite délinquance judéo-maghrébine.

On avait déjà noté chez Arthur Harari, à la faveur de ses courts-métrages, une certaine tendance à l’empoisonnement des rapports entre aînés et cadets, suffisamment ambiguë pour impliquer dans le même pacte passionnel, tant la figure du corrupteur que celle du subjugué. Diamant noir pose à cet égard les choses brutalement, avec l’annonce faite au héros de la mort de son père. Pier Ulmann est un jeune homme velléitaire qui vit à Paris de larcins, commis sous la houlette d’un délinquant chevronné, Rachid, doux bandit qui lui tient lieu de figure paternelle dévoyée. La mort de son vrai père, qu’il n’a pratiquement pas connu, le ramène brutalement à son destin : venger l’homme défait que celui-ci était devenu, chassé et spolié par sa propre famille, une riche dynastie de diamantaires juifs anversois. Jacques Mandelbaum

Film français d’Arthur Harari avec Niels Schneider, August Diehl, Abdel Hafed Benotman, Raphaële Godin (1 h 55).

LE RÉCIT IRONIQUE D’UN ENFER FAMILIAL : « Illégitime », d’Adrian Sitaru

ILLÉGITIME Bande Annonce (2016)
Durée : 01:36

Découvert en 2009 avec un premier long-métrage formidablement enlevé, récit d’une liberté folle et d’une pimpante cruauté (Picnic), Adrian Sitaru livre avec Illégitime son quatrième titre dans la catégorie. Premier acte : un repas de famille. Un père, médecin, veuf, ses quatre enfants adultes. Convaincu d’avoir, sous le régime de Ceausescu, dénoncé à l’Etat des femmes désireuses d’avorter, le père, qui assume sa position, est cloué au pilori, le repas tourne au vinaigre, des coups sont échangés. Deuxième acte : focus sur les deux cadets, Sasha et Romeo, qui entretiennent une brûlante relation incestueuse. Sasha, qui veut y mettre un terme sans y parvenir, tombe enceinte de son frère. Tout le monde trouve plus sage, finalement, de renouer avec le paternel, qui dispose de contacts. Troisième acte : une équation morale à l’épreuve des faits, typique de l’école roumaine. Comment va réagir le père ; qui, de lui ou de ses enfants, à la lueur de la nouvelle situation, va bouger ses positions sur le problème de l’avortement ? Tout cela filmé en plans serrés et coalescents, filant la parabole du doux enfer familial et envoyant une réponse d’une ironie hallucinée à 4 mois, 3 semaines, 2 jours, Palme d’or 2007, de son compatriote Cristian Mungiu. J. M.

Film roumain d’Adrian Sitaru avec Adrian Titieni, Alina Grigore, Robi Urs (1 h 29).

LES TRIBULATIONS D’UN ENDEUILLÉ : « La Nouvelle Vie de Paul Sneijder », de Thomas Vincent

LA NOUVELLE VIE DE PAUL SNEIJDER Bande Annonce (Thierry Lhermitte - 2016)
Durée : 01:42

L’affiche de La Nouvelle Vie de Paul Sneijder flirte avec la publicité mensongère, avec ce visage hilare d’un type qui promène une meute de chiens qu’on dirait sortis d’une production Disney. Dans le film de Thomas Vincent, le type en question – Paul Sneijder – ne sourit pas beaucoup. Pas du tout même, au début de cette fable acerbe, qui met en scène le malheur d’un homme (Thierry Lhermitte) – survivant d’un accident d’ascenseur, en deuil de sa fille et en proie à une épouse sans scrupule – pour mieux montrer les travers du monde dans lequel il vit. Le film est situé, et a été tourné, à Montréal en plein hiver, et les rires qui s’échappent des situations absurdes du scénario se cristallisent en éclats de glace dans l’air gelé qui enveloppe Paul Sneijder. Ici, la comédie est amère, une nuance que proposent rarement les cinéastes français. Ajoutée aux blocs de glace que charrie le Saint-Laurent, c’est un cocktail rafraîchissant en ce début d’été. Thomas Sotinel

Film français de Thomas Vincent avec Thierry Lhermitte, Géraldine Pailhas, Pierre Curzi, Guillaume Cyr (1 h 54).

C’ÉTAIT LA JOIE DU FRONT POPULAIRE : « La vie est à nous », de Jean Renoir

La Vie est à nous - Bande annonce officielle
Durée : 01:31

Quatre-vingts ans du Front populaire : les images défilent, avec les foules en lutte et en liesse. Le Front en a beaucoup suscité, qui hantent l’imaginaire collectif. Les grèves joyeuses, les manifestations lyriques et solidaires, l’antifascisme comme combat fédérateur, l’obtention des congés payés, les conventions collectives : toute une mythologie populaire de la gauche trouve ici sa source. Le cinéma, notamment les films de propagande du Parti communiste, alors en pleine ascension, y a pris sa part. Art populaire, le cinéma devient, à cette époque une arme redoutable pour les mouvements de masse. Les idéologies, d’un extrême à l’autre, le vampirisent, convoitent ses sortilèges.

En France, l’un des titres les plus prestigieux est La vie est à nous. Réalisé en 1936 par Jean Renoir, à peu près oublié aujourd’hui, le film ressort en salles (où il ne connut sa première exploitation commerciale qu’en 1969). Approché par Aragon, l’un des missi dominici du Parti dans le domaine des arts, Renoir prend la tête de ce projet collectif, mix de prises de vues documentaires et de scènes reconstituées, dont l’atmosphère, à certains égards, n’est pas sans évoquer celle de notre époque. Il reste en même temps profondément de la sienne, avec cette foi joyeuse dans l’avenir et cette fidélité au Parti qui soulève alors les foules, avant que le rideau ne tombe sur l’Europe et ne tranche ces espoirs comme un couperet. J. M.

Film français de Jean Renoir (1936) avec Madeleine Sologne, Gaston Modot, Jacques Brunius, Jacques Becker, Jean-Paul Dreyfus (1 h 02).