Le « nouvel eldorado » des « bots »
Le « nouvel eldorado » des « bots »
Par Benjamin Thomas (Consultant innovation chez SQLI)
L’avenir est aux robots automatisés qui simulent une conversation humaine comme vecteur principal de relation client, au détriment du courriel, du téléphone et des applications mobiles, explique Benjamin Thomas, consultant innovation chez SQLI.
« Tencent a développé de nouvelles fonctionnalités, sur le mode conversationnel, pour aider les titulaires de comptes spéciaux à interagir avec leurs clients/fans » (Photo: logo de Tencent, à la Global Mobile Internet Conference, à Pékin, en 2015). | KIM KYUNG-HOON / REUTERS
Par Benjamin Thomas, consultant innovation chez SQLI
Lors de la conférence de David Marcus pendant le WebSummit de Dublin organisé en novembre 2015, le patron de Facebook Messenger y a détaillé sa vision selon laquelle les consommateurs allaient peu à peu choisir les applications de messagerie comme vecteur principal de relation client, au détriment du courriel, du téléphone et des applications mobiles.
Plutôt qu’une série de courriels noyés parmi les autres, cette solution propose une conversation permanente avec une marque. L’utilisateur y retrouve ainsi tous ses échanges avec elle et peut la contacter directement sans quitter une application sur laquelle il passe déjà une grande partie de son temps.
Un nouvel eldorado
Marcus est loin d’être le seul à croire en l’avènement de la messagerie et de l’utilisation d’un mode conversationnel pour accéder aux services. Ted Livingston, le patron de Kik, un des leaders de la messagerie sur le marché américain, a tout misé sur les « bots », ces robots automatisés qui simulent une conversation humaine capable d’effectuer toute une série d’actions sur une simple commande textuelle, écrite en langage naturel.
Vous avez faim ? Faites appel au bot Domino’s Pizza qui prendra votre commande sans même que vous ayez à quitter la conversation à laquelle vous participez. Vous souhaitez continuer la discussion autour d’un verre ? Faites appel au bot Uber pour vous rendre dans un bar, sans avoir à aller sur un store rechercher puis télécharger l’application mobile dédiée.
C’est désormais toute la Silicon Valley qui s’est convaincue d’avoir trouvé un nouvel eldorado, et il ne se passe pas un jour sans qu’un grand du web annonce sa plate-forme de bots doublée d’API [pour Application Programming Interface soit, en français, interface de programmation applicative] d’intelligence artificielle, ou que le site spécialisé Techcrunch ne relaie une levée de fonds spectaculaire pour une start-up dont la seule particularité est son mode d’interaction conversationnel.
Regards tournés vers la Chine
Si la Californie s’est trouvé cette nouvelle vague à surfer, c’est qu’elle regarde jalousement vers l’autre côté du Pacifique, et notamment du côté de WeChat. WeChat est à la base un service de messagerie chinois qui a réussi en quelques années à devenir le principal (sinon l’unique) point d’accès vers les services digitalisés : commander un taxi, consulter le solde de son compte en banque, réserver une place de cinéma…
Comment WeChat en est-il arrivé là ? L’application a connu un succès fulgurant depuis 2010, et très vite les marques mais aussi des célébrités s’en sont emparées. Rien n’était prévu pour elles à l’origine, et ce sont donc de gigantesques tchats groupés qui furent lancés, se transformant rapidement en un colossal bazar. Tencent, l’opérateur mobile qui possède WeChat, fut contraint de réagir, et créa alors les « Official Accounts », une sorte de comptes spéciaux dotés de fonctionnalités particulières.
L’utilisation de ces comptes spéciaux est rapidement devenue pour le consommateur chinois le meilleur moyen pour entrer en contact avec une marque. En effet, télécharger une application mobile est souvent difficile sur le réseau chinois, surchargé et onéreux, et les appels à un service client peuvent vite tourner au cauchemar.
Tencent a développé de nouvelles fonctionnalités, sur le mode conversationnel, pour aider les titulaires de comptes spéciaux à interagir avec leurs clients/fans. La plate-forme fut ainsi dotée de capacité de « speech to text » [littéralement de parole au texte] permettant d’utiliser la voix pour communiquer. Les services clients des entreprises se virent dotés d’outils capables d’identifier des mots-clés dans les messages de leurs clients, et purent ainsi y répondre de manière automatique ou les router vers les agents adéquats.
WeChat, plate-forme tout-en-un
Mais ce serait méconnaître WeChat que de considérer que son intérêt vient du fait qu’elle se serait qu’une plate-forme conversationnelle. Tout d’abord, ce n’est pas vraiment le cas, puisque la plupart des comptes spéciaux utilisent des interfaces en partie graphiques (prenant diverses formes, souvent via webview). Ce qui fait l’intérêt de WeChat, c’est en revanche sa capacité à distribuer les informations personnelles de l’utilisateur aux fournisseurs de produits et services.
Quand je m’inscris à un nouveau service via WeChat, pas besoin de créer un nouveau compte avec un mot de passe associé. La plate-forme stocke et distribue mon identité. WeChat permet aux comptes spéciaux d’envoyer et de recevoir de l’argent de manière sécurisée. On peut aussi s’en servir pour se connecter aisément au Wifi d’un magasin ou d’un lieu public. Il n’y a là rien de très conversationnel finalement, mais quand même de quoi séduire un Occidental, habitué à d’interminables et fastidieuses sessions de création d’un nouveau compte ou de saisie d’un numéro de carte bancaire ou d’un interminable mot de passe Wifi sur l’écran d’un smartphone.
Finalement, ce qu’il faut retenir du modèle de WeChat, c’est qu’en miroir il nous renvoie les limites de nos smartphones et plus particulièrement de leurs systèmes d’exploitation (Android & iOs).
La fin du modèle « un service/une application »
Le modèle « un service/une application » est certainement en train de vivre ses derniers mois et on entrevoit un futur dans lequel une plate-forme (messagerie ou assistant, peu importe au final) permettrait aux utilisateurs d’accéder aux services de leur vie quotidienne de manière instantanée et naturelle.
Pas de nouvelle interface à apprendre pour chaque nouvelle application mais une interaction la plus naturelle et simple possible. Pas besoin de créer un compte et de retenir un nouveau mot de passe. Un suivi aisé des nouveaux contenus, sans le manque de pertinence et le côté intrusif de nos systèmes de push notifications [messages] qui souvent ne créent qu’une envie furieuse d’effacer l’application fautive.
WeChat occupe cet espace en Chine et ne se privera pas de profiter de cette position archi-dominante. Et c’est bien cela qui fait rêver la Silicon Valley et qui nous vaut l’engouement autour des bots depuis quelques mois.