Les supporteurs croates dénoncent le « système mafieux de leur fédération »
Les supporteurs croates dénoncent le « système mafieux de leur fédération »
Propos recueillis par Anthony Hernandez
Le chercheur Loïc Tregoures revient sur les incidents qui ont marqué le match contre la République tchèque.
Les incidents ont eu lieu vendredi au stade Geoffroy-Guichard de Saint-Etienne. | Robert Pratta / REUTERS
Juste avant le sommet du groupe D entre l’Espagne et la Croatie, mardi 21 juin, l’UEFA a condamné, lundi, la Fédération croate à une amende de 100 000 euros. Vendredi 17 juin, à Saint-Etienne, le match entre la République tchèque et la Croatie avait été interrompu à la suite d’incidents, notamment des jets de fumigènes sur la pelouse, provoqués par des supporteurs croates.
Pour Loïc Tregoures, doctorant à l’université Lille-II, chercheur spécialiste des Balkans et du supportérisme dans cette région, c’est le moyen qu’ont trouvé certains fans croates pour dénoncer la corruptionde leur fédération.
Comment expliquer les débordements des supporteurs croates lors du match contre la République tchèque alors que leur équipe se dirigeait vers les huitièmes de finale ?
Le citoyen croate, pas seulement le supporteur, connaît le fonctionnement du système mafieux de la Fédération nationale de football. L’enthousiasme pour la sélection est retombé depuis les années 1990 [troisième place au Mondial 1998]. L’enjeu est donc de faire connaître la situation en dehors des frontières croates, quitte à mettre en difficulté l’équipe. La Fédération croate est ainsi la plus sanctionnée par l’UEFA. C’est l’objectif des supporteurs qui sont à l’origine de ces provocations.
Pourquoi qualifiez-vous ce système de « mafieux » ?
Un homme, Zdravko Mamic, contrôle aussi bien la Fédération (HNS) que le club de la capitale, le Dinamo Zagreb. Il est le vice-président de la Fédération et a placé à sa tête l’ancien grand joueur Davor Suker. Ce dernier ne décide de rien, il est une marionnette.
Au Dinamo, Zdravko Mamic a été directeur exécutif. Il est aujourd’hui soi-disant conseiller spécial. Son frère, Zoran, entraîne le Dinamo. Son fils, Mario, dirige une société de management de joueurs.
En tant que dirigeant du club, Mamic décide du salaire qu’il verse aux joueurs, et lorsqu’il les vend, il décide du pourcentage qu’il va leur reprendre puisque les joueurs sont en contrat avec son fils. Son influence s’étend auprès de la sélection et on l’accuse de s’en servir pour faire grimper la cote de certains de ses joueurs. En juillet 2015, il a été arrêté pour blanchiment et fraude. Son procès devrait débuter en septembre.
Ces actions choc des supporteurs ne sont-elles pas contre-productives ?
La question est de savoir comment se faire entendre. Vous savez, des actions différentes ont déjà été menées. Une loi sur le sport a été adoptée en 2015 par l’ancien gouvernement [SDP, Parti social-démocrate] pour faire évoluer les choses. Elle était le résultat d’un lobbying intense de mouvements citoyens, comme « Ensemble pour le Dinamo » ou « Notre Hadjuk » [Hadjuk Split, club historique], qui dépassaient largement le noyau des ultras, regroupant des juristes, des communicants…
Or, la Fédération s’affranchit de cette loi, le gouvernement croate mené par le parti HDZ [Union démocratique croate, parti nationaliste], qui a été renversé vendredi le jour du match, n’a rien fait pour l’appliquer. Il y a de forts liens entre Zdravko Mamic et ce parti, qui est également celui de l’actuelle présidente Kolinda Grabar-Kitarović.
La présidente a qualifié les auteurs d’« ennemis de la Croatie », le sélectionneur Ante Cacic de « terroristes du sport »…
Ces termes sont ridicules et dangereux. La sélection croate possède des joueurs magnifiques et est une très belle vitrine pour la Croatie. Mais le problème est qu’elle sert d’arbre pour cacher le système du football croate. Mamic était d’ailleurs présent dans les loges du stade Geoffroy-Guichard, lors des incidents.
Lors du match République tchèque-Croatie, le 17 juin, à Saint-Etienne. | Kai Pfaffenbach / REUTERS
Il y a une logique de sacrifice, schizophrénique de la part de ces fans qui lancent des fumigènes. Ils aiment leur équipe et sont conscients de lui nuire. Mais ils le font pour attirer l’attention. On peut aussi relativiser : lancer des fumigènes et interrompre un match quatre minutes, ce n’est pas violent. L’épisode du pétard, qui a explosé près d’un stadier, était un accident. Et puis, si la Croatie avait gagné le match, le ton du discours aurait été différent. En tout cas, les qualifier de « hooligans », c’est vraiment ne rien comprendre à la situation.
Doit-on craindre d’autres incidents avec les supporteurs croates durant le tournoi ?
Je ne pense pas. D’abord, Saint-Etienne était le lieu idéal. Il y a de bonnes relations entre certains supporteurs croates et ceux de l’ASSE. Ils connaissaient bien le stade. Ensuite ceux qui ont fait ça ont été soit arrêtés, soit ils sont rentrés. Enfin, le « coup » est réussi, c’est terminé.
Par ailleurs, il faudra que chacun prenne ses responsabilités. L’UEFA punit à tour de bras, mais personne ne la punit, elle. L’instance du foot européen est au courant de la situation. Deux jours avant la rencontre, la rumeur courrait d’ailleurs pour les événements de Saint-Etienne.
Les incidents dans les stades se multiplient, c’est sa responsabilité, ainsi que celles des autorités françaises qui n’ont cessé depuis des mois de nous assurer que tout était prêt et se passerait parfaitement.