« Mercenaire » : l’odyssée du pilier de rugby, d’Océanie en Ovalie
« Mercenaire » : l’odyssée du pilier de rugby, d’Océanie en Ovalie
Par Thomas Sotinel
A la Quinzaine des réalisateurs, Sacha Wolff séduit en racontant le voyage, semé d’épreuves, d’un sportif wallisien.
Une scène du film français de Sacha Wolff, « Mercenaire ». | HASSEN BRAHITI/AD VITAM
Au cinéma, les règles de la fiction sportive sont aussi précises et contraignantes que celles de l’International Rugby Board : il faut un outsider à la cote très élevée qui s’impose, triomphant aussi bien de l’adversaire que de l’adversité. A la fin de Mercenaire, premier long-métrage de fiction de Sacha Wolff, Soane, son héros, rugbyman wallisien venu de Nouvelle-Calédonie pour jouer dans le Sud-Ouest de la France, a respecté ce parcours à la lettre. Mais – pour chaparder dans le placard aux clichés de mes collègues des sports –, il ne suffit pas de gagner, il faut aussi la manière. Et celle de Sacha Wolff, jusqu’ici documentariste, est extraordinaire.
Méthodes mafieuses
Chacune des étapes du parcours tourmenté de Soane (Toki Pilioko) est traitée comme la traversée d’une terre inconnue par un explorateur. C’est une odyssée, au sens strict du terme, qui expose son héros à tous les périls – l’amour, l’argent, la douleur physique.
Elle commence dans la communauté wallisienne, où le jeune homme (il n’a pas encore 20 ans) est remarqué par Abraham (Laurent Pakihivatau), un recruteur aux méthodes mafieuses, qui l’envoie en métropole à la place d’un pilier plus lourd, plus expérimenté.
Soane veut partir pour échapper aux sévices d’un père alcoolique (Petelo Sealeu, qui a quelque chose de Morgan Freeman, du temps où l’acteur savait encore inspirer la crainte), mais arrivé en France, il est rejeté par le patron de club qui l’avait acheté.
Il finit par atterrir dans une équipe de seconde zone, où on le bourre de produits illicites, où il affronte la xénophobie ignorante de certains de ses coéquipiers, et rencontre l’amour en la personne de Coralie (Iliana Zabeth), dont l’estime d’elle-même vaut à peu près celle de son nouvel amant (« je suis la grosse que tout le monde baise »).
C’est probablement son expérience de documentariste qui permet à Sacha Wolff d’échapper aux clichés : pour mettre en scène la déclaration d’amour du rugbyman à la caissière (c’est la profession de Coralie), le réalisateur utilise ce qu’il a appris de la coutume wallisienne.
Lorsqu’il s’agit de filmer l’affrontement entre le recruteur et le poulain qui lui a échappé, il installe sa caméra à Lourdes et peuple l’écran de visages de la Vierge.
Malgré sa nature de mélo sportif, Mercenaire ne contient qu’un pourcentage restreint de scènes de match. Elles sont filmées, elles aussi, avec un souci de précision qui devrait les rendre accessibles aux ignorants des choses du rugby tout en satisfaisant les connaisseurs. Le scénario s’attarde plus longuement sur les transactions plus ou moins régulières qui entourent le sport : contrôles antidopage esquivés, brutalités étudiées sur le terrain et rivalités haineuses dans les vestiaires.
Exemple d’éloquence
Au portrait des habitants de la périphérie que sont les Wallisiens de Nouvelle-Calédonie répond celui du prolétariat sportif que sont les joueurs de petites équipes. Entre les deux s’épanouit un beau personnage, qui entame le film comme un bloc muet pour devenir un exemple d’éloquence.
Au fil de la projection, on s’apercevra que Sacha Wolff, débutant en fiction, est déjà passé maître dans l’art de la manipulation des personnages et du spectateur. Il suffit de faire la moyenne entre ces artifices et la vérité de l’interprétation, tout en factorisant l’énergie de la mise en scène pour obtenir le score final : il est en faveur de Mercenaire.
Film français de Sacha Wolff avec Toki Pilioko, Iliana Zabeth, Laurent Pakihivatau (1 h 44). Sur le Web : www.advitamdistribution.com/mercenaire