Meurtre de deux policiers : les problèmes posés par la vidéo en direct
Meurtre de deux policiers : les problèmes posés par la vidéo en direct
Par Florian Reynaud
De la revendication de l’assassin d’un couple de policiers au suicide d’une adolescente, la vidéo en direct filmée par un téléphone et popularisée par Facebook et Periscope pose de nouveaux défis, à la fois pour la modération des contenus et la loi.
Les cas de violences diffusées en direct s’accumulent et mettent en défaut les plus grandes entreprises du Net. Lundi 13 juin, le terroriste Larossi Abballa, qui a tué un couple de policiers à leur domicile de Magnanville (Yvelines), s’est filmé en direct pour révéler ses actes et revendiquer ces meurtres au nom de l’organisation Etat islamique. Il s’est simplement servi de son application Facebook sur son smartphone, en utilisant une nouvelle fonctionnalité, Live, qui permet de diffuser de la vidéo en direct.
Le suicide ou le viol en direct sur Facebook et Periscope
Très utilisée, cette fonctionnalité n’est pas la seule sur le marché et Facebook arrive quelques mois après l’application Periscope, très populaire, qui appartient à Twitter, ou encore Meerkat. La vidéo en direct accessible à tous à partir d’un smartphone donne généralement à voir des scènes de la vie quotidienne, ou des comptes rendus de manifestations, d’événements particuliers.
Mais d’autres usages, glaçants, émergent très vite. Comme Océane, une jeune femme de 19 ans, qui s’est suicidée en direct en se jetant sous un train le 10 mai, le smartphone en main, diffusant la scène sur Periscope. Le 30 mars, ce sont trois hommes qui, toujours sur Periscope, ont violé en direct une femme sous les yeux de plus de 2 000 internautes, alors que le lien était partagé par des internautes sur Twitter. Aux Etats-Unis, les autorités cherchaient en avril à vérifier l’authenticité d’un live Facebook dans lequel un homme semblait se faire tirer dessus.
La vidéo en direct se démocratise
Le phénomène n’est pas nouveau, et les questions posées aujourd’hui par les smartphones étaient les mêmes à l’ère des webcams. En 2008 déjà, un jeune homme s’était suicidé en direct sur Justin.tv, et en 2010, c’était un Japonais sur Ustream. Mais avec des applications comme Facebook et Periscope, la popularisation des smartphones et un accès à Internet dans des zones de plus en plus étendues, la vidéo en direct s’est affranchie de nombreuses contraintes pour devenir accessible au plus grand nombre.
Chez Facebook comme chez Periscope, les règles d’utilisation interdisent aux utilisateurs de diffuser en direct des images violentes ou des incitations à la violence. Contacté, Periscope a tenu à mettre en avant les nouveaux outils de modération des commentaires qui apparaissent sous les vidéos, révélés début juin, et n’a pas souhaité répondre aux questions du Monde sur les méthodes de modération.
Chez Facebook, on explique que la modération des contenus ne se fait pas a priori mais a posteriori, sur signalement des utilisateurs, et qu’il n’y a donc pas de surveillance active des directs vidéo. Le réseau social veut faire de la pédagogie et inciter ses utilisateurs à signaler le plus vite possible les contenus enfreignant les règles aux équipes de modération du site.
Un droit inadapté
Au regard du droit français, la responsabilité des plates-formes qui hébergent ces flux vidéo en direct est très classique. Si les autorités découvrent un contenu répréhensible sur Facebook, en live ou non, elle va alors notifier le réseau social qui devient responsable et sera sommé de retirer le contenu « promptement ». Les autorités peuvent ensuite demander à l’entreprise d’identifier l’internaute ayant diffusé le contenu, comme elle le fait dans nombre d’enquêtes. Mais ce « promptement », inscrit dans la loi, pose problème : pour Eric Bonet, avocat spécialiste du droit des nouvelles technologies, « on parle parfois d’un week-end ». « Le système est pensé pour des contenus publiés en différé », explique-t-il, « avec Periscope et Facebook Live, le temps que l’on retire, l’opération est souvent terminée ».
Le direct change aussi le rôle des « spectateurs ». Contrairement à une vidéo publiée après l’action filmée, le « live stream » met l’internaute devant une situation en cours. « Les spectateurs doivent réagir et pas simplement regarder », juge Eric Bonet, qui estime qu’il « peut y avoir des cas de non-assistance à personne en danger », par exemple dans le cas d’une agression filmée en direct. « Mais je ne connais pas de précédent publié », nuance-t-il.
L’avocat avance que le droit doit évoluer, « pour obliger les hébergeurs à demander une authentification plus forte » à leurs utilisateurs, comme par exemple un numéro de téléphone pour tous ceux qui souhaitent démarrer un « live stream ». « Des problèmes de droit à l’image peuvent également se poser », estime l’avocat, puisque n’importe quel utilisateur de smartphone peut filmer et diffuser en direct des personnes non consentantes dans l’espace public.