Paris sous l’eau, qui l’eût cru ?
Paris sous l’eau, qui l’eût cru ?
Par Christine Rousseau
Un formidable docu-fiction fait revivre l’inondation de 1910 qui noya la capitale (vendredi 3, à 20 h 45, sur Tout l’Histoire)
1910 Paris sous les eaux Extrait
Durée : 01:21
Un formidable docu-fiction fait revivre l’inondation de 1910 qui noya la capitale
Malgré la pluie incessante, la Ville Lumière brille de tous ses feux, pour quelques heures encore... Vigie silencieuse, le Zouave du pont de l’Alma voit depuis quelques jours la Seine grimper doucement, jusqu’à lui enserrer la taille, sans que personne ne s’en inquiète réellement. Certes, ce 20 janvier 1910, il y a bien quelques maires de banlieue pour alerter les autorités que leur commune est inondée. Rien n’y fait.
Recroquevillés sous un vaste sentiment d’immunité, la population et les pouvoirs publics observent, insouciants, le déluge. D’ailleurs, comment pourrait-on croire que la ville la plus moderne du monde, qui peut s’enorgueillir de posséder six lignes de métro, un réseau hydropneumatique ainsi que six cents kilomètres d’égouts, pourrait être submergée par une crue ? D’autant plus que la dernière, celle de 1870, a entraîné des travaux d’aménagement pour protéger les zones inondables.
Et les services météorologiques, direz-vous ? Si prompts aujourd’hui à sonner le tocsin, à l’époque, ces derniers n’étudient pas encore les phénomènes – cela viendra en 1920 – tels que celui qui va, durant une semaine (du 20 au 28 janvier 1910), plonger la Ville Lumière dans les ténèbres.
Inondations de Paris, janvier-février 1910. | Numerisation BHVP. (G. Leyris)
Sept jours que relatent Eric Beauducel et Olivier Poujaud dans un épatant docu-fiction. Que ceux qui ne goûtent guère ce genre hybride se rassurent, le mariage entre les archives protéiformes (articles de presse, lettres, cartes postales, films, photographies), les éclairages apportés par une solide équipe d’experts (historiens des transports, de la presse, géographes, anthropologues), les plans 3D et la fiction, qui distille subtilement sa tension dramatique, est en tout point une réussite. Et relèverait presque de la gageure tant la grande crue de 1910 – restée dans les mémoires grâce à une abondante iconographie – a déjà donné lieu à maints ouvrages et films.
Elan de solidarité
Or, celui-ci se démarque tant par sa facture, où s’entremêlent habilement analyses, documents – sans trop charger la barque... – et reconstitution, que par le point de vue adopté, qui nous entraîne dans les pas de Létang, un journaliste du Petit Parisien interprété par Bruno Debrandt. Une couverture médiatique qui prend tout son sens lorsque l’on sait, ainsi que le rappelle l’historien de la presse Patrick Eveno, que cette crue fut la première catastrophe à faire l’objet de reportages photographiques et à être couverte au jour le jour.
Au-delà des faits dépeints et des terribles conséquences matérielles, économiques et sociales qui voient Paris être privé de gaz, d’électricité et de la plupart de ses moyens de transport, le film nous éclaire sur l’élan de solidarité inédit qui traversa la ville et bien au-delà. Aristide Briand fait débloquer au Parlement une aide de 2 millions de francs, le double est récolté grâce aux souscriptions lancées par les journaux, auxquels il faut ajouter - c’est une première - les recettes des spectacles caritatifs donnés dans les théâtres parisiens et jusqu’à la Scala de Milan.
Seule ombre au tableau : cet élan n’atteindra jamais la banlieue, grande laissée-pour-compte de cette crue au cours de laquelle on dénombrera deux morts - un pompier et la girafe du Jardin des plantes – et dont on estime les dégâts à 1 milliard d’euros.
1910, Paris sous les eaux, d’Eric Beauducel et Olivier Poujaud (France, 2014, 52 min). Avec Bruno Debrandt, Didier Bénureau, Henri Courseaux... Vendredi 3, à 20 h 45, sur Tout l’Histoire