PS : Ce n’est pas à une instance éthique de régler un problème politique
PS : Ce n’est pas à une instance éthique de régler un problème politique
Le 12 mai, Jean-Christophe Cambadélis saisissait la Haute autorité éthique du Parti socialiste sur les 25 députés signataires de la motion de censure de gauche. Vingt-deux d’entre eux dénoncent dans une tribune la judiciarisation du débat.
Jean-Christophe Cambadelis, le 2 mai | ERIC FEFERBERG / AFP
Par un collectif de députés socialistes
Nous étions cinquante-six députés de gauche et écologistes à signer ce mercredi 11 mai un projet de motion de censure afin d’exprimer notre opposition à la loi Travail, élaborée à contresens de nos engagements et qui produit une profonde fracture dans notre pays.
Le Premier secrétaire de notre parti a saisi la Haute autorité éthique afin d’examiner cette situation inédite. Ainsi choisit-il de traiter devant une instance éthique un problème politique grave.
Nous sommes fondés à nous étonner de cette « judiciarisation » du débat politique. Il serait plus conforme à notre démocratie de discuter devant le prochain conseil national des raisons qui conduisent de nombreux socialistes à agir ainsi en conscience et en responsabilité.
Nos désaccords doivent être clairement exposés :
- un projet de loi voulant réformer le code du travail provoque une tension dans la société française qui n’a pas d’équivalent depuis 1981 dans les périodes où la gauche est au pouvoir. Des mouvements sociaux se multiplient contre cette loi et s’installent dans la durée. Dans le même temps, des actes de violences inacceptables se produisent à travers le pays. Des élus socialistes ont été directement visés par des attaques que nous dénonçons fermement.
- un agenda politique délétère, contraire à tout bon sens stratégique, a été imposé après les défaites électorales dans la majorité des régions françaises. Il a vu se succéder un projet de réforme constitutionnelle prévoyant une mesure de déchéance de nationalité que 120 députés socialistes n’ont pas votée, puis la loi Travail, qui provoque un divorce durable entre le PS et le monde des salariés.
- au mépris du débat parlementaire, l’outil constitutionnel le plus autoritaire, l’article 49.3, a été utilisé dès l’amorce de l’examen de la loi Travail. Jamais les socialistes ne l’avaient employé – à une seule exception - quand ils disposaient d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Nous nous étions engagés à le supprimer.
- un signal ferme et sans précédent à l’intention de l’exécutif est venu de toutes les gauches, sous la forme d’une motion signée par des députés de chaque formation de gauche représentée à l’Assemblée nationale.
Les choix et les méthodes marquant cette période d’exercice du pouvoir nourrissent au sein du Parti socialiste une ambiance explosive et une démoralisation collective, qui servent les intérêts de nos seuls adversaires, à droite comme à l’extrême-droite, tournés vers l’horizon 2017.
L’un des motifs de la saisine de la Haute autorité évoque la possibilité d’un vote mêlant les voix de droite et de gauche. Nos intentions et toutes nos déclarations indiquent le contraire et notre hostilité à une « majorité de circonstances ». Les dirigeants de la droite avaient eux-mêmes déclaré qu’ils ne voteraient pas cette motion. Sans doute aurait-il fallu une égale vigilance quand se préparait, avec Nicolas Sarkozy, un vote convergent sur la réforme constitutionnelle et la déchéance de nationalité.
Mais par respect pour la Haute autorité, nous entendons, au nom de l’éthique, apporter également les éléments suivants, qui éclairent une situation sans précédent dans notre parti. À la vue des événements récents, nous ne doutons pas que l’éthique soit de notre côté.
- Interpellés, nous répondons d’abord par l’éthique de conviction.
Rien dans les choix socialistes, dans nos programmes récents ou notre histoire au XXe siècle, rien dans nos engagements présents ou dans l’ensemble des motions du congrès de Poitiers ne vient étayer ce projet de loi dans ses aspects contestables. Bien au contraire.
Ainsi, le texte signé par le Premier secrétaire et tous les ministres à Poitiers, comportait un passage explicite : « Il faut rétablir la hiérarchie des normes : la loi est plus forte que l’accord collectif et lui-même s’impose au contrat de travail »…
L’éthique de conviction s’oppose à ce que la gauche se livre au double langage, l’un dans l’opposition, l’autre au pouvoir ; l’un dans les congrès, l’autre dans l’action. De ces grands écarts, naît l’immense défiance dont nous sommes désormais la cible.
- Il en va aussi de l’éthique de discussion et de décision.
Rappelons que la direction du Parti socialiste a toujours refusé qu’une position précise sur la loi Travail soit exprimée et votée par le Bureau national, alors même que nous l’avions demandée à maintes occasions.
Au vu du long débat conduit en Bureau national en présence de la ministre du Travail, on peut penser que seule une minorité y était favorable. C’est probablement pour cela qu’aucun vote majoritaire n’y fut sollicité.
Aussi, nous n’étions donc engagés par aucune décision de notre parti sur les aspects régressifs de ce projet de loi : inversion de la hiérarchie des normes du droit du travail, facilitation des licenciements, rémunérations des heures supplémentaires, etc.
Devant le groupe socialiste à l’Assemblée, un vote émis le 10 mai sans être annoncé a réuni moins d’un tiers de l’effectif total du groupe.
Mais partout dans nos fédérations, des voix s’élèvent demandant le retrait ou de profondes modifications du texte.
- Enfin, nous revendiquons fermement notre éthique de responsabilité : depuis de nombreux mois, les virages idéologiques sans préavis divisent la majorité, et fracturent la gauche. Le Premier ministre théorise pour la gauche politique comme pour le monde syndical ces fractures soi-disant irrémédiables. Comment faire barrage à la droite et reconstruire notre parti dévitalisé, si nous n’endiguons pas ces dérives qui poussent au schisme ?
Nous assumons notre démarche. Nous ne nous inscrivons en rien dans un processus de surenchère ou de séparation, mais resterons fermes quant à notre refus de voir adopter une loi de dérégulation du marché du travail. Nous sommes, aujourd’hui comme hier, disponibles pour un dialogue constructif et force de propositions.
Nous ne cachons pas que l’état du Parti socialiste nous inquiète et nous navre. « C’est assez dire que pour notre part, nous ne voulons plus nous contenter d’assister à la politique des autres. Au piétinement des autres. Aux combinaisons des autres. Aux rafistolages de consciences des autres ou à la casuistique des autres », écrivait Aimé Césaire, dans sa « Lettre à Maurice Thorez », en 1956. Il exprimait alors ce que nous ressentons ces jours-ci.
Les députés socialistes signataires de cette tribune sont Laurent Baumel (Indre-et-Loire), Jean-Pierre Blazy (Val-d’Oise), Fanelie Carrey-Conte (Paris), Dominique Chauvel (Seine-Maritime), Pascal Cherki (Paris), Aurélie Filippetti (Moselle), Geneviève Gaillard (Deux-Sèvres), Linda Gourjade (Tarn), Benoît Hamon (Yvelines), Mathieu Hanotin (Seine-Saint-Denis), Serge Janquin (Pas-de-Calais), Romain Joron (Somme), Régis Juanico (Loire), Laurent Kalinowski (Moselle), Christophe Léonard (Ardennes), Christian Paul (Nièvre), Michel Pouzol (Essonne), Patrice Prat (Gard), Barbara Romagnan (Doubs), Gérard Sebaoun (Val-d’Oise), Suzanne Tallard (Charente-Maritime) et Paola Zanetti (Charente-Maritime).