Les pionniers de la techno de Detroit (Michigan), comme Derrick May, Jeff Mills ou Carl Craig, ont donné des concerts à partir des années 2000 en se faisant accompagner d’orchestres symphoniques. Depuis, cette idée a fait du chemin. Le groupe Cabaret contemporain et le trio Brandt Brauer Frick – dès 2008 – se sont ancrés dans la même démarche. Sauf qu’eux n’ont pas apposé une orchestration nouvelle à la techno mais jouent la techno en utilisant un orchestre et non des machines.

Le groupe français Cabaret Contemporain. | DR

Formé en 2014, Cabaret contemporain, dont un nouvel album a été publié le 13 mai (Cabaret contemporain, m=minimal) et Brandt Brauer Frick, revenu en avril, viennent rappeler que la musique techno peut aussi être jouée par des musiciens et des instruments acoustiques. On peut légitimement se demander pourquoi singer la métronomie et les sons de synthèse des machines, quand celles-ci – et elles l’ont prouvé – s’en chargent très bien. « On veut imiter la machine, mais y apporter les imperfections et les qualités de l’humain », théorise Fabrizio Rat, le pianiste du groupe Cabaret contemporain, sextuor parisien. Outre Fabrizio Rat, la formation regroupe un guitariste, deux contrebassistes, un batteur et un ingénieur du son. Tous sont passés par le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMD). Depuis janvier 2014, ils sèment des objets sonores aussi difficiles à identifier que passionnants.

Et en un peu plus de deux ans d’existence, leur discographie compte déjà un EP – un mini album –, deux albums revisitant les œuvres de Terry Riley et de Moondog (1916-1999) et ce quatrième opus, leur premier de compositions originales, dont ils fêtent la sortie lors d’un concert, jeudi 19 mai au Point éphémère, à Paris.

« En France, il y a une vision erronée de la techno »

« Revisiter » Moondog, surnommé « le Viking de la 6e Avenue », connu pour son usage du contrepoint et d’instruments inventés ou Terry Riley, l’un représentants historiques de la musique répétitive aux Etats-Unis, éclaire la musique du groupe sous un nouveau jour. Ce tropisme atlantiste indique que les Français renouent avec les avant-gardes et par là, sans l’avouer, révèlent les possibles origines intellectuelles d’une musique plutôt perçue comme simplement hédoniste.

« Il y a beaucoup d’artistes qui ont fait des choses très fines et très belles qui commencent à être reconnus… comme John Hopkins ou James Holden. Et ces références sont présentes chez beaucoup d’artistes techno. Chez nous, les gens le relèvent parce qu’on l’indique sur les pochettes. En France, il y a encore une vision erronée de la techno, qui serait juste une rave party, une basse et un kick [grosse caisse marquant chaque temps] et des gens de moins de 25 ans défoncés jusqu’à 6 heures du matin », s’agace Simon Drappier, l’un des contrebassistes. Rien de cela chez eux.

Cabaret Contemporain - "Love"
Durée : 02:42

Comme dans leur nom, ces musiciens assument la contradiction. L’ancien et le nouveau, le bois et le métal, l’évolutif et le répétitif, l’écrin de l’archer et le métal de la casserole, l’onirique et le cauchemardesque. Ils les ignorent pour les fondre ensemble. Mais Simon Drappier et Fabrizio Rat tiennent à garder leur distance avec ces réflexions et mettent en avant leur amour du son formel. « Cabaret contemporain est un laboratoire. Si ça peut être drôle d’utiliser une casserole, c’est pour le son, ce n’est pas quelque chose qu’on a théorisé ou que l’on revendique », relativise Simon Drappier.

« On n’est pas dogmatiques »

Avant Cabaret contemporain, quelques-uns ont, dans des styles très différents, interprété des musiques électroniques avec des instruments acoustiques. Le groupe britannique de drum’n’bass 4hero dans les années 1990, leur compatriote Matthew Herbert, les Français Hilight Tribe ou encore les Allemands de Brandt Brauer Frick. Au début de leur carrière en 2008, ces Berlinois employaient la même recette que Cabaret contemporain. Comme eux, ils sortent du conservatoire et ont maitrisé leurs instruments avant leurs premiers pas de danse. Et comme eux-encore, ce trio refuse d’être dogmatique. Ce qui s’entend dans l’évolution de leur musique. Depuis You Make Me Real, en 2010 jusqu’à Miami en 2013, en passant par Mr. Machine en 2011, ces trois multi-instrumentistes interchangeables sont passés d’une techno « hardcore », comme le dit lui-même Daniel Brandt, à un format « plus pop », que l’on peut entendre sur leur récent EP, publié en avril.

The Brandt Brauer Frick Ensemble
Durée : 05:32

Leur musique, dès le début, a été reconnue comme « complexe et astucieuse », selon eux, mais leur démarche est au contraire moins dans la posture intellectuelle que dans la vulgarisation. « Nous voulions rendre plus accessibles, intelligibles et entraînants, les musiques d’avant-garde et certains types de jazz », explique Paul Frick.

Pas étonnant que leur musique n’ait pas été beaucoup diffusée en boîte de nuit : « On voulait faire de la musique minimaliste, mais en gardant des dynamiques naturelles. Si nous avions programmé cette musique avec des machines, cela nous aurait pris beaucoup de temps pour la faire respirer, la rendre vivante », résume encore Paul Flick. Cette vie, justement, est ce qui fait toute la fraîcheur de cette techno dite acoustique. Quand l’humain devient la machine – comme l’évoque The Man-Machine, l’album de Kraftwerk de 1978 – peut-être est-ce ce moment précis où l’homme contemporain s’empare de sa modernité.

Cabaret contemporain au Point éphémère, 200, quai de Valmy, Paris 10e. M° Jaurès. Tél.: 01-40-34-02-48. Jeudi 19 mai, à 20 heures. 13 €.