Une affaire de corruption éclabousse le conseil départemental des Bouches-du-Rhône
Une affaire de corruption éclabousse le conseil départemental des Bouches-du-Rhône
Par Luc Leroux (Marseille, correspondant)
Cinq personnes ont été mises en examen, dont un haut fonctionnaire du conseil départemental qui est soupçonné d’avoir touché des pots de vins pour favoriser des entreprises lors d’appels d’offres.
Une affaire de pots de vin contre des marchés publics éclabousse le conseil départemental des Bouches-du-Rhône, une collectivité longtemps dans la tourmente des dossiers judiciaires impliquant l’ex-PS Jean-Noël Guérini, battu en mars 2015 par l’actuelle présidente (Les Républicains) Martine Vassal. Cinq personnes ont été mises en examen dans le cadre d’une enquête pour favoritisme, corruption, blanchiment.
Parmi elles figure un haut fonctionnaire, en poste depuis plusieurs années dans la collectivité territoriale ; il a reconnu avoir touché des liasses de billets pour favoriser deux entreprises soumissionnaires aux marchés d’entretien et de rénovation des bâtiments du département.
Directeur de la gestion, de l’administration et de la comptabilité – un service qui emploie cinquante-six fonctionnaires – Renaud Chervet, 43 ans, a été mis en examen, jeudi 26 mai, pour corruption passive, trafic d’influence, favoritisme et recel, infraction à la législation sur les armes, blanchiment, des délits commis en bande organisée. Il a été écroué à l’issue de 48 heures de garde à vue et d’une perquisition conduite, mardi 24 mai, par le parquet de Marseille au « vaisseau bleu », le nom du bâtiment qui abrite le conseil départemental. Après avoir contesté les faits devant les enquêteurs, il a avoué dans le cabinet du juge d’instruction marseillais Valéry Müller ce qui ressemble pour l’heure à « une aventure individuelle », selon l’expression d’un enquêteur.
Vidéo d’un pacte de corruption
Aux yeux de la police judiciaire marseillaise, cette affaire illustre une nouvelle fois la porosité entre des mondes pourtant aux antipodes. L’affaire débute en effet sur des chemins déserts près de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume (Var). Des policiers enquêtant sur un trafic de cannabis et de cocaïne orchestré par des membres présumés de la N’Dranghetta, la mafia calabraise, assistent à un rendez-vous entre des trafiquants italiens présumés et un Marseillais, Jean-Pascal Battista. Chez ce dernier, un quinquagénaire condamné pour trafic de drogue à deux peines de quatre ans de prison, les policiers découvrent, le mois dernier, une clé USB contenant sept enregistrements vidéo. L’un d’eux, tourné par une caméra espion à l’intérieur d’un véhicule, montre une scène qui s’apparente sans ambiguïté à la conclusion d’un pacte de corruption.
Sur les images qui datent de janvier, un certain Renaud évoque l’octroi d’un marché public en comptant une liasse de dix mille euros. La promesse d’un second versement du même montant lui est faite, une fois que le marché aura été signé.
Son interlocuteur, l’auteur de l’enregistrement clandestin, est vite identifié : Saïd Meliouh, 43 ans, gère en sous main la Société marseillaise de travaux (SMT) et France Entretien, cette dernière société venant d’être rachetée par Jean-Pascal Battista. En faillite personnelle pour dix ans, Saïd Meliouh a été incarcéré, en janvier, peu de temps après l’enregistrement de cette scène, en raison de la mise à exécution d’une condamnation à un an de prison prononcée par la cour d’appel de Lyon pour recel en bande organisée. Une cinquième personne, la gérante de droit de SMT et amie de Saïd Meliouh, a été placée sous contrôle judiciaire.
Voitures de luxe et factures payées en liquide
Les écoutes téléphoniques, l’environnement financier du fonctionnaire dévoilent un train de vie qui, selon les enquêteurs, ne correspond pas à ses revenus : voitures de luxe dont une Jaguar, belle cave à vins, villa chic et studio dans les beaux quartiers de Marseille, nombreux voyages... Une arme est également trouvée. Des factures ont été payées en liquide ainsi que le remboursement anticipé d’un prêt. Une enveloppe portant un nom et contenant 3000 € conduit à un autre acteur de cette affaire.
Spécialiste en ingénierie et études techniques, Jérôme Disdier, 48 ans, a signé avec le conseil départemental depuis 2013 deux contrats d’assistance à maîtrise d’ouvrage. C’est lui qui, pour la collectivité, analyse et chiffre le montant des marchés, vérifie les factures, détenant ainsi des informations confidentielles. Considéré comme un intermédiaire entre Renaud Chervet et les entreprises, Jérôme Disdier nie avoir touché de l’argent mais aurait bénéficié de travaux de la part d’entreprises favorisées.
« Ce genre de pratiques est ancré dans les habitudes »
Pour l’heure, Renaud Chervet est soupçonné d’avoir usé de son influence pour diriger le choix de la commission d’appel d’offres vers les entreprises SMT et France Entretien pour quatre marchés dont deux d’un montant de 600 000 € chacun. Les soupçons portent sur vingt-deux marchés à bons de commande que la justice doit maintenant passer au peigne fin. Jérôme Disdier et les deux chefs d’entreprises ont également été placés en détention provisoire jeudi 26 mai.
Défenseur de Renaud Chervet, Me Frédéric Monneret considère qu’« il s’est fait piéger par son relationnel, des fausses amitiés et des copinages. Il n’a pas eu conscience de participer à une opération d’une gravité extrême tant, semble-t-il, ce genre de pratiques est ancré dans les habitudes ». De son côté Me Chehid Selmi, avocat de Saïd Meliouh, évoque lui aussi « un système bien ancré dans la société marseillaise » pour justifier que « ce petit entrepreneur essaie de s’en sortir dans un contexte économique difficile ».
Le Conseil départemental va se constituer partie civile, annonce Yves Moraine conseiller départemental (Les Républicains), délégué aux marchés publics et aux délégations de service public. Il annonce que les marchés, objets de l’enquête et non encore attribués, seront annulés.