Violences policières : seulement 48 cas lors des 1 500 manifestations contre la loi travail, vraiment ?
Violences policières : seulement 48 cas lors des 1 500 manifestations contre la loi travail, vraiment ?
Par Adrien Sénécat
Les chiffres de la police des polices ne montrent qu’un aspect des violences lors des nombreuses manifestations.
L’Inspection générale de la police nationale (IGPN, la « police des polices »), a livré lundi 6 juin ses chiffres liés aux violences policières dans les mouvements de protestation contre la loi El Khomri depuis mars. « Il y a eu 48 enquêtes judiciaires ouvertes, principalement à Paris et Rennes, concernant exclusivement des violences », selon la directrice de l’IGPN. « Il faut les mettre en parallèle avec les quelque 1 500 manifestations » souvent « violentes », a-t-elle ajouté. De quoi relativiser les bavures ?
POURQUOI C’EST PLUS COMPLIQUÉ
Contactée par Le Monde, la police n’a pas souhaité donner plus de précisions sur ces chiffres. Impossible, également, de nous communiquer la liste des cas concernés « sans l’accord du magistrat », fait-on valoir. Selon nos recherches, une dizaine de ces procédures seulement ont été évoquées par la presse, dont deux sont liées à des blessures graves : un étudiant qui a perdu l’usage d’un œil à Rennes, en avril, et un homme de 28 ans plongé dans le coma pendant une dizaine de jours à Paris, de fin mai à début juin.
Il y a néanmoins plusieurs raisons de penser que ce chiffre de 48 enquêtes judiciaires se situe au-dessous de la réalité.
Premier point : si tel était le cas, cela présupposerait que 100 % des dossiers de violences remontent jusqu’à l’IGPN, ce qui n’est pas garanti.
Des policiers procèdent à l'interpellation d'un manifestant, le 26 mai 2016 à Paris, à l'issue d'une marche contre la loi travail. | OLIVIER LABAN-MATTEI / MYOP POUR LE MONDE
Plusieurs témoignages font aussi état de réticences des officiers à enregistrer les plaintes. Joël Labat s’est ainsi rendu dans les locaux de l’IGPN, à Paris, le 23 mai, après avoir reçu une grenade (probablement lacrymogène) sur la jambe, lors d’une manifestation contre la loi travail, six jours plus tôt, ce qui lui a valu cinq jours d’incapacité totale de travail (ITT).
Ce réalisateur de 57 ans estime avoir été victime de violences policières, car, selon lui, le policier qui l’a blessé a fait un « tir tendu », ce qui est interdit. Il estime également avoir été ciblé parce qu’il filmait la manifestation.
Sa caméra tournait au moment des faits et le site Reporterre a publié une vidéo de la scène :
Malgré cela, les officiers qui le reçoivent à l’IGPN vont d’abord refuser d’enregistrer sa plainte : « Je suis venu avec mes images, mais on m’a répondu que c’était un montage et on m’a dit de déposer plutôt une main courante », témoigne-t-il. Son avocat, Raphaël Krempf, qui confirme sa version des faits, lui conseille alors d’opter pour la main courante… En précisant, dans sa déposition, qu’il lui a été refusé de porter plainte. Une demande qui sera une nouvelle fois refusée par l’IGPN.
Il faudra un échange entre la commissaire et l’avocat par téléphone pour que Joël Labat puisse finalement déposer sa plainte. « On peut regretter qu’il faille en arriver là pour exercer un droit fondamental. Même si les policiers considèrent que cela ne mérite pas une plainte, ce avec quoi je suis par ailleurs en désaccord, ils doivent l’accepter », tranche l’avocat. Les suites de ce dossier ne sont pas connues pour l’heure.
Toutes les violences ne sont pas signalées
« D’une manière générale, il y a une certaine réticence à porter plainte contre les forces de l’ordre. Dénoncer des actes commis par la police, on se dit que ça peut nous causer des soucis », estime Raphaël Krempf. Selon lui, les chiffres communiqués par l’IGPN ne reflètent pas les violences policières dans leur intégralité, mais seulement « ceux qui se sont battus jusqu’au bout pour porter plainte ».
L’avocat explique que, dans un certain nombre de cas, « cela ne va pas apparaître suffisamment grave pour porter plainte, ou difficile à caractériser ». Par exemple, pour quelques insultes ou quelques coups. « Mais c’est une réalité », ajoute-t-il.
Une accusation ne vaut pas toujours condamnation
Un recensement partiel de BuzzFeed France, basé sur les accusations de violences policières relayées dans la presse ou sur les réseaux sociaux, va dans le même sens. A ce jour, des suites judiciaires n’ont été confirmées que dans quatorze des quarante-trois cas présentés, soit un tiers environ.
Or, même les vidéos ou photos qui montrent des blessures ne suffisent souvent pas à prouver les possibles bavures. Encore faut-il s’assurer que l’usage de la force par les forces de l’ordre a été disproportionné ou contraire aux règles (on peut en revanche estimer qu’elles disent au moins quelque chose du climat des manifestations).
De même, les chiffres livrés par le ministère de l’intérieur sur le nombre de policiers blessés (un peu plus de deux cents entre mars et mai, quelques dizaines supplémentaires depuis) ne donnent pas d’indication sur les causes et la gravité de leur état.