Aymeric Caron et sa « République du vivant » au secours des animaux
Aymeric Caron et sa « République du vivant » au secours des animaux
Par Audrey Garric
Dans un essai audacieux et documenté, l’écrivain et journaliste entend pourfendre le « dogme en vigueur » du spécisme, les discrimination liées aux espèces.
Dans un abattoir roumain. | AP/Vadim Ghirda
Nous choyons nos chiens et nos chats, mais nous mangeons les vaches, les moutons et les cochons. Nous méprisons les pigeons et admirons les aigles. Nous exterminons les rats tout en protégeant les pandas. Pourquoi ? Car la plupart d’entre nous sommes spécistes. C’est ce « dogme en vigueur » qu’entend pourfendre l’écrivain et journaliste Aymeric Caron, dans son nouvel ouvrage, Antispéciste, un essai audacieux et documenté publié jeudi 7 avril.
Le premier intérêt du livre réside dans son titre même. Bien connus du petit monde des végétariens et des défenseurs des animaux, les termes de spécisme et d’antispécisme restent malgré tout ignorés en France. Inventés par le psychologue britannique Richard Ryder en 1970 et popularisés par le philosophe australien Peter Singer dans son best-seller La Libération animale en 1975, ils trouvent récemment une résonance avec les vidéos chocs de l’association L214 sur les abattoirs.
Le spécisme, nommé par analogie avec le racisme et le sexisme, « désigne toute attitude de discrimination envers un animal en raison de son appartenance à une espèce donnée », écrit l’auteur. Ce « préjugé » consacre à la fois la supériorité des humains sur les autres espèces et légitime des différences de traitement, en créant des catégories « injustifiées » (animaux de boucherie, de compagnie, de loisirs, etc.).
Au contraire, l’antispécisme, dont se revendique Aymeric Caron, refuse de faire passer les intérêts des humains avant ceux des « animaux non humains » – sans toutefois nier les différences entre les espèces. Cette obligation morale et éthique implique de ne plus tuer ni de ne faire souffrir des animaux qui partagent avec nous les mêmes caractéristiques (être capable de sensibilité, d’intelligence ou d’empathie), et dont la vie importe autant que la nôtre.
Un « nouvel humanisme »
"Antispéciste", d’Aymeric Caron, Don Quichotte, 480 pages, 20,90 euros. | DR
Dans la lignée du Plaidoyer pour les animaux (Allary Editions, 2014) du moine bouddhiste Matthieu Ricard ou de Voir son steak comme un animal mort (Lux, 2015) du philosophe Martin Gibert, mais aussi de penseurs moins lus dans l’Hexagone (Gary Francione, Tom Regan ou Arne Næss), Aymeric Caron, déjà auteur de No Steak (Fayard, 2013), assène des chiffres qui frappent la conscience des amateurs de viande, ceux-là mêmes qui cherchent à l’apaiser.
Chaque année, les hommes tuent 70 milliards de mammifères et d’oiseaux et 1 000 milliards d’animaux marins pour leur consommation, ainsi que 150 millions de bêtes pour la fourrure. En France, 95 % des porcs sont élevés dans des bâtiments suroccupés, sur des caillebotis au travers desquels se déversent leurs excréments. Les poulets ne vivent que six semaines en élevage intensif, au lieu de six ans normalement. Les veaux sont retirés à leur mère dans les heures ou les jours qui suivent leur naissance.
Mais, loin de se cantonner à ressasser la littérature – de plus en plus vaste – sur le sujet, Aymeric Caron élargit la réflexion, en passant par la cosmologie, la génétique, l’éthologie, le droit et la philosophie, pour proposer un modèle de société qui bannirait toute exploitation animale. Un « nouvel humanisme » (un « anumanisme ») qui ne serait plus anthropocentré. Il s’agirait donc de ne plus manger de viande ni de poisson, bien évidemment, mais également d’œufs, de lait et de fromage, de ne plus utiliser de cuir ou de fourrure, de boycotter les zoos, les cirques et les corridas.
Surtout, l’« élargissement de notre sphère de considération morale » devrait passer par l’octroi d’un nouveau statut juridique pour les animaux (celui de « personnes non humaines ») assorti de nouveaux droits fondamentaux : ne pas être tué, emprisonné, torturé et ne pas être une propriété. Il n’y aurait ainsi plus d’élevage, seulement des animaux sauvages, et les propriétaires d’animaux de compagnie deviendraient des tuteurs, munis de « certificats de capacité ».
Matthieu Ricard : « On peut s’occuper des humains ET des animaux »
Durée : 01:00:15
Style plaisant et didactique
On l’aura compris, des deux courants antispécistes, Aymeric Caron, végétarien depuis vingt-cinq ans et vegan depuis deux ans, se place du côté des abolitionnistes. Ceux qui estiment qu’un « élevage heureux » ne peut exister et qui réclament la fin de toute forme d’exploitation animale, à l’inverse des welfaristes, qui n’y sont pas opposés, mais luttent pour épargner toute souffrance inutile aux animaux.
Si le style est plaisant et didactique, le fervent défenseur des animaux va loin, très (trop ?) loin. Non content d’appeler à des actes de désobéissance civile contre « la mort imposée dans les assiettes », il propose de revoir l’ensemble de nos institutions. Face à ce qu’il considère comme un échec des partis et de l’écologie politique pour contrer un « néolibéralisme à bout de souffle », l’ancien chroniqueur de l’émission de Laurent Ruquier On n’est pas couché appelle à l’établissement d’une « biodémocratie » et la fondation d’une nouvelle République, baptisée « République du vivant ».
Aux côtés de l’Assemblée nationale, une Assemblée naturelle (qui remplacerait le Sénat) représenterait les intérêts des animaux. Composée de membres désignés et non pas élus – des hauts fonctionnaires formés à l’éthologie, à la biologie et à la philosophie, des experts et des représentants d’ONG –, elle pourrait proposer certaines lois et aurait un droit de veto sur celles votées par l’Assemblée.
L’idée de créer de nouvelles instances antispécistes a déjà fait son chemin chez quelques intellectuels (Dominique Bourg, Bruno Latour ou Corine Pelluchon). Mais, devant le grand public, elle risque d’être perçue comme utopique, dans le meilleur des cas, ou totalement fantaisiste et grotesque, dans le pire. Aymeric Caron ne risque-t-il pas de décrédibiliser l’éthique animale, en appellant à un changement trop radical, bien supérieur aux « sacrifices » que les humains sont prêts à concéder ? « C’est une utopie, mais c’est une question de temps avant qu’elle ne se réalise, répond l’intéressé. Les vraies idées révolutionnaires ont toujours paru loufoques. »