Sur la départementale 218, accès principale à la ZAD, les résidents se préparent à l’annonce de la décision du gouvernement. | STEPHANE MAHE / REUTERS

Certains hôtels de Loire-Atlantique commencent à afficher complet. Face à l’imminence d’une décision gouvernementale sur le sort de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, les forces de l’ordre ont entrepris de rejoindre la zone pour se préparer à intervenir. « Il faut gérer ce genre de crise avec beaucoup de maîtrise », a prévenu Gérard Collomb, ministre de l’intérieur, mardi 16 janvier sur France 2. Quel que soit le choix, maintenir ou abandonner le projet d’aéroport, M. Collomb a assuré que la ZAD « sera en tout cas évacuée de ces éléments les plus radicaux ».

Côté police, six compagnies de CRS ont pris la route de l’Ouest de la France mardi, soit entre 400 et 500 effectifs. Deux compagnies devraient être présentes à Rennes et quatre autres à Nantes, deux villes dans lesquelles des actions pourraient avoir lieu en cas d’évacuation de la ZAD, la zone d’aménagement direct, rebaptisée « zone à défendre » par les opposants de Notre-Dame-des-Landes. « Nous ne sommes pas à l’abri d’un maintien de l’ordre violent, avec des manifestations telles qu’on a pu les connaître pendant la loi travail », anticipe David Michaux, secrétaire national CRS du syndicat UNSA Police.

« Personne n’a une idée exacte de la réaction sur l’ensemble du territoire », tempère un cadre de la police nationale. Une chose est certaine : la lutte emblématique contre le projet d’aéroport a vu, depuis une dizaine d’années, se constituer un réseau de plus d’une centaine de collectifs locaux de soutien.

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En prévision de l’arrivée de renforts militants

Côté gendarmerie, les premiers mouvements s’amorcent également. D’après nos informations, six ou sept escadrons de gendarmes mobiles, soit pas loin de 500 militaires, devaient être positionnés dès jeudi aux abords de la ZAD pour « contrôler » notamment l’arrivée de renforts militants. Quelque 300 personnes vivent sur place, mais elles pourraient être rejointes par des opposants à l’évacuation. A l’automne 2012, après l’échec de l’opération « César » – une tentative d’expulsion massive de plusieurs semaines –, des milliers de personnes s’étaient réunies sur place (40 000, selon les organisateurs) pour une manifestation de « reconquête ».

La manœuvre des gendarmes vise justement à éviter cette convergence. Et notamment en empêchant l’arrivée éventuelle de tracteurs, comme cela est déjà arrivé par le passé. En 2016, par exemple, à plusieurs reprises, les agriculteurs avaient manifesté avec des centaines de tracteurs. Ils en annoncent 300 mobilisables rapidement pour converger sur la ZAD en cas d’intervention massive.

Une évacuation de la zone nécessite, selon diverses sources au ministère de l’intérieur, la mobilisation sur plusieurs semaines d’environ trente escadrons de gendarmes mobiles, mais ce n’est pas nécessairement le scénario qui sera joué dans un premier temps. Si le projet d’aéroport est abandonné, « le gouvernement entrera dans une phase de négociation avec les occupants et on pourra temporiser, analyse un gendarme. Les lieux dans la ZAD seront préservés mais il y aura quand même des actions menées ».

La RD 218, axe symbolique et opérationnel

L’enjeu sera d’abord de dégager la route départementale (RD) 281, l’une des routes qui traverse la zone, reliant le carrefour des Ardinières au bourg de La Paquelais, sur la commune de Vigneux-de-Bretagne. C’est notamment là qu’eurent lieu, en 2012, certains des affrontements les plus violents. Et c’est sur cette route rebaptisée « route des chicanes », que sont toujours concentrés aujourd’hui, sur quelque trois kilomètres, de nombreux obstacles, barricades, fossés, carcasses de voitures, pneus…

La RD 281 sera le symbole de la reconquête de l’espace public par l’autorité, a prévenu la préfète Nicole Klein. Et les opposants historiques, agriculteurs et associations, le savent bien, eux qui ont à plusieurs reprises en 2017, commencé à la nettoyer. Mardi matin, agriculteurs et opposants faisaient encore le point sur la nécessité qu’il y aurait à dégager cette route, dès lors que l’abandon du projet d’aéroport serait annoncé officiellement.

Ce sera probablement là qu’auront lieu les premiers affrontements, en tout cas le premier test pour les forces de l’ordre. « C’est un trouble majeur à l’ordre public et cet axe revêt aussi un enjeu symbolique et opérationnel », fait valoir le général à la retraite Bertrand Cavallier, ancien commandant du Centre national d’entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier (Dordogne). La gendarmerie pourrait employer ses véhicules blindés et recourir aux moyens logistiques du génie de l’armée de terre pour se réapproprier l’axe.

« La route départementale est importante parce que c’est le point principal d’accès à la ZAD », rappelle un gendarme. En intervenant dessus, les forces de l’ordre pourront à la fois contrôler les arrivées de l’extérieur et pousser les zadistes à venir à eux. « Tactiquement, la manœuvre est facile parce qu’on n’a pas à aller dans les bois, poursuit le gendarme. Cela présente le gros avantage de les faire sortir et ça va permettre de mesurer les forces en présence. »

Incursion possible vendredi

Quelle sera alors la résistance des opposants présents sur place ? L’Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport (Acipa), comme l’Association de défense des exploitants concernés par l’aéroport (Adeca) qui regroupent les agriculteurs, se disent prêtes à dégager elles-mêmes la route. « On est capable de le faire, il n’y a pas besoin d’intervenir, insiste Sylvain Fresneau. Si deux conditions sont réunies, que le projet soit abandonné et que la déclaration d’utilité publique tombe [elle arrive à échéance le 9 février], nous rendrons une route toute propre à la collectivité. » L’éleveur assure que les agriculteurs et les opposants sont tous prêts à venir, avec leurs machines, pour donner un coup de main.

Mais si les forces de l’ordre interviennent « trop tôt » – la rumeur fait état d’une première incursion possible dès vendredi –, le risque d’affrontements sera grand. Une infime minorité de zadistes se dit prête à en découdre, même en cas de victoire avec l’abandon du projet. « Il faut nous laisser un peu de temps pour nettoyer, plaide aussi Julien Durand, porte-parole de l’Acipa. S’ils veulent intervenir, on ne pourra rien faire, on restera en retrait, on ne défendra pas la route mais on ne s’interposera pas devant les gendarmes. » Ce serait un beau gâchis, affirment tous les opposants.

Le mouvement anti-aéroport, qui regroupe toutes les associations ainsi que la coordination de la ZAD, organisera une conférence de presse, deux heures après l’annonce gouvernementale, à La Vache Rit, une grange qui fut le quartier général des occupants en 2012. Et à partir de 18 heures, ce même jour, une soirée sera organisée avec toutes les composantes du mouvement. « Dans un cas, on rigolera, dans l’autre cas, on aura fini de rigoler », conclut Sylvain Fresneau.