Banques en Afrique subsaharienne : inquiétudes sur un secteur en surchauffe
Banques en Afrique subsaharienne : inquiétudes sur un secteur en surchauffe
Par Paul Derreumaux
Après la fermeture de trois banques au Kenya en neuf mois, notre chroniqueur Paul Derreumaux met en garde sur les risques d’une expansion trop rapide.
Après une période euphorique, c’est plutôt par de mauvaises nouvelles que les banques subsahariennes se sont illustrées ces derniers mois.
En République démocratique du Congo (RDC), la Banque internationale pour l’Afrique centrale (BIAC), quatrième banque du pays, est en crise grave depuis le mois de février. Ses dirigeants plaident un manque de liquidités dû à l’arrêt brutal d’une ligne permanente de refinancement, alors que l’Etat reste lui-même grand débiteur de la BIAC. Les autorités reprochent des erreurs de gestion et un refus de l’actionnaire unique de recapitaliser l’institution en proportion avec sa croissance. Quoi qu’il en soit, un arrêt de la BIAC pourrait déstabiliser tout le système et effriter encore la confiance des Congolais envers leurs banques.
Forte préférence pour le « cash »
Des événements de même nature se sont déroulés ces deux dernières années dans un pays réputé beaucoup plus solide : le Kenya. En neuf mois, trois banques ont été fermées par la Banque centrale du Kenya et, dans cette nation au système bancaire réputé, la brutalité et la succession rapprochée de ces défaillances surprennent.
Dubaï Bank, la plus petite des 43 banques kényanes, connaît en août 2015 une grave crise de liquidités face au resserrement des prêts interbancaires, qui conduit à sa fermeture. Pour l’Imperial Bank, des fraudes massives des dirigeants sur une longue période sont mises au jour en octobre 2015. La banque, classée dix-neuvième, est placée sous administration provisoire et sa remise en marche, initialement prévue pour fin mars, a dû être reportée de trois mois.
Ces incidents ont provoqué une méfiance croissante vis-à-vis des banques moyennes et des transferts notables de ressources vers les « majors » de la profession. Les difficultés de la Chase Bank traduisent partiellement l’effet de cette « transhumance » des ressources. Récemment encore étoile montante du panorama bancaire kényan, la Chase subit, comme toutes les banques « Tier II », de lourdes ponctions de trésorerie fin 2015 et début 2016, aggravées par les doutes portés sur certaines opérations de ses dirigeants. La Banque centrale arrête donc aussi les activités de Chase Bank. Elle engage cette fois immédiatement les négociations pour le redémarrage de l’établissement, qui a rouvert ses portes le 27 avril sous la gestion de la Kenya Commercial Bank (KCB), première banque du pays.
Même si les environnements de la RDC et du Kenya sont fort distincts, ces accidents ont des causes communes. La première réside dans un environnement financier africain encore caractérisé par une forte préférence pour le « cash », d’une part, et par une multiplication récente des établissements bancaires dans chaque pays, d’autre part. L’attachement au « cash » explique que les déposants soient prompts à retirer leur argent. Quant à la prolifération des banques, elle permet aux clients de réagir plus vite face à des crises, dont ils ont souvent été victimes par le passé et qui leur ont fait perdre une part importante de leur épargne. Cet élément prend une grande force au Kenya, où une culture bancaire sophistiquée s’est généralisée et où la clientèle a de nombreux choix possibles qu’elle peut et sait comparer.
Grand appétit pour les dividendes
Le deuxième facteur est la profitabilité à court terme, que poursuivent beaucoup des établissements les plus dynamiques, poussés par leurs actionnaires. Les ratios crédits-dépôts, par exemple, progressent partout, atteignant souvent des niveaux dangereux. Travaillant la plupart du temps en dehors des refinancements de leurs banques centrales, les établissements bancaires n’ont guère de limites en la matière. Synonyme d’une plus grande liberté d’action, cette situation porte cependant le germe de risques potentiels élevés en cas de contraction de la liquidité ou de détérioration des portefeuilles qui rendraient brutalement les banques dépendantes de leurs autorités de contrôle. De plus, le grand appétit pour les dividendes ralentit parfois une progression des fonds propres pourtant indispensable.
La troisième cause est le fait des autorités de régulation et de contrôle elles-mêmes. Malgré leur renforcement, les nouveaux dispositifs s’avèrent insuffisamment solides en comparaison de la croissance et des transformations impressionnantes des banques subsahariennes sur la même période, et à la multiplication des nouveaux risques. L’arsenal réglementaire s’était jusqu’ici peu penché sur les scénarios de faillite de banques, hypothèse considérée comme théorique dans un univers bancaire en pleine expansion. Alors que la Banque centrale européenne concentre une bonne part de ses réflexions sur les cas possibles de « résolution » de crise, les autorités monétaires subsahariennes affrontent ces difficultés au coup par coup. En l’absence de stratégie globale, la gestion de ces situations peut donner lieu à des appréciations variables, susceptibles de générer de nouvelles difficultés.
La zone CFA a échappé à ces tensions dans la période récente. Son système bancaire tout autant que son dispositif prudentiel recèlent pourtant des faiblesses sans doute aussi grandes qu’au Kenya. Elle doit donc profiter de cet avertissement pour s’armer davantage et écarter autant que possible les dangers de toutes sortes, toujours présents.
Paul Derreumaux est économiste et président d’honneur du groupe Bank of Africa, qu’il a développé et dirigé en Afrique jusqu’à fin 2010.