Le pape François à Erevan, en Arménie, le 26 juin. | Andrew Medichini / AP

Sans une pleine et vivante reconnaissance du passé, il n’y a ni paix, ni réconciliation possible. Mais avec la seule mémoire, non plus. Avant une visite en Géorgie et en Azerbaïdjan à la fin septembre, l’étape de l’Arménie, du 24 au 26 juin, a dessiné la ligne d’équilibre fragile que le pape François veut promouvoir dans cette région du Caucase du Sud, percluse de tensions et de conflits irrésolus.

Le Haut-Karabakh, territoire attribué en 1923 à l’Azerbaïdjan et revendiqué par l’Arménie, était encore théâtre de combats en avril. Pendant trois jours, les gestes et les mots du chef de l’Eglise catholique ont illustré avec intensité ce chemin de crête dont on a pu mesurer, dans les propos de ses interlocuteurs, à quel point il ne va pas de soi.

Samedi soir, le gouvernement turc a réagi au premier acte de mémoire du pontife romain, posé la veille dès son premier discours devant les autorités politiques et civiles, à savoir la réaffirmation que les massacres commis en 1915 et 1916 par les troupes ottomanes contre les populations arméniennes étaient constitutifs d’un génocide. La réaction turque au premier emploi de ce mot oralement par le pape, en avril 2015, avait été très vive. Cette fois, le gouvernement turc s’est exprimé par la voix du vice-premier ministre, Nurettin Canikli, qui a jugé « très fâcheuse » cette déclaration du pape qui « ne reflète pas la vérité ». « Il est malheureusement possible de voir tous les reflets et les traces de la mentalité des croisés dans les actes de la papauté et du pape », a-t-il ajouté.

« Le pape ne fait pas de croisade »

Interrogé dimanche sur ce commentaire d’Ankara, le porte-parole du Vatican, le père Federico Lombardi, a assuré que « le pape ne fait pas de croisade » et qu’il n’y a, dans sa démarche, « rien de l’esprit de croisade ». Il a souligné que François a pour objectif de proposer « des fondements pour la paix », qu’il avait « prié pour la réconciliation de tous » et qu’il n’avait « pas prononcé un mot contre le peuple turc ».

Sur place, le pouvoir politique et l’Eglise apostolique arménienne, dont la proximité était flagrante tout au long de cette visite suivie de près par le président de la République, Serge Sarkissian, ont fait bloc à ses côtés quand, après sa visite au mémorial du génocide de Tsitsernakaberd, samedi, François a eu des mots très forts sur l’impératif mémoriel de cette tragédie. « Ce tragique mystère d’iniquité que votre peuple a vécu dans sa chair demeure imprimé dans la mémoire et brûle dans le cœur, a-t-il affirmé samedi lors d’une prière pour la paix à Erevan. (…) Le rappeler n’est pas seulement opportun, c’est un devoir : que [ces blessures] soient un avertissement en tout temps, pour que le monde ne retombe plus jamais dans la spirale de pareilles horreurs ! » Dans le livre d’or du mémorial, il a écrit : « La mémoire ne peut pas être étouffée ni oubliée ; la mémoire est source de paix et d’avenir. »

La reconnaissance du génocide, préalable à tout rapprochement

En revanche, des différences de registre sont apparues lorsqu’il s’est agi du présent et de l’avenir. Après les gestes mémoriels, le pape a prêché la réconciliation. Dimanche, juste avant son départ, il a lâché des colombes, symbole de paix, à quelques centaines de mètres de la frontière turque, au monastère de Khor Virap, lieu fondateur du christianisme arménien et, par voie de conséquence, du sentiment national, les deux étant intimement liés.

La veille, lors d’une veillée de « prière pour la paix » dans le centre d’Erevan, il avait appelé les Arméniens à « s’engager à poser les bases d’un avenir qui ne se laisse pas absorber par la force trompeuse de la vengeance », à faire le pari que « la mémoire, imprégnée d’amour, devient capable d’emprunter des sentiers nouveaux et surprenants, où les trames de haine se transforment en projets de réconciliation, où on peut espérer un avenir meilleur pour tous ». Il avait encouragé les jeunes à « devenir des constructeurs de paix » et « non pas des notaires du statu quo ».

Mais du côté arménien, la reconnaissance par la Turquie d’un génocide, il y a un siècle, est un préalable à tout rapprochement. « Nous ne cherchons pas de coupable. Nous ne lançons pas d’accusations, a déclaré le président Sarkissian vendredi. Nous voulons simplement que les choses soient appelées par leur nom, car cela permettra à deux peuples voisins de se diriger vers une véritable réconciliation. »

Le discours du catholicos Karékine II, le chef de l’Eglise apostolique arménienne – dont les interventions écrites étaient diffusées par le ministère des affaires étrangères – était lui aussi dominé par cette question et par la relation avec l’Azerbaïdjan. Le peuple arménien, a-t-il dit lors de la prière pour la paix, « attend de la Turquie (…) qu’elle trouve le courage de faire face à l’histoire, qu’elle mette fin à l’inique blocus de l’Arménie, qu’elle renonce à son soutien aux tentatives militaires de l’Azerbaïdjan contre le droit du peuple ». « Notre peuple connaît des conditions de vie difficiles du fait d’une guerre qui ne dit pas son nom », a-t-il déclaré, faisant référence aux combats dans le Haut-Karabakh au mois d’avril. Fin septembre, c’est en Azerbaïdjan que le pape François s’exprimera sur ce sujet.