Bilan carbone de Paris : des progrès encore insuffisants
Bilan carbone de Paris : des progrès encore insuffisants
Par Guillaume Krempp, Laetitia Van Eeckhout
La Ville de Paris a publié, mercredi, le bilan des émissions de gaz à effet de serre sur son territoire. Il affiche une baisse de 9 % entre 2004 et 2014.
Des Vélib’ pont de l’Archevêché à Paris. | CHARLES PLATIAU/REUTERS
Depuis la COP21, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a pris l’engagement de faire de la capitale une ville exemplaire dans la lutte contre le changement climatique et ainsi de démontrer que les collectivités sont des acteurs-clés plus ambitieux que les Etats. Au vu de son bilan carbone présenté mercredi 13 juillet, il lui reste néanmoins bien du chemin à parcourir. En 2014, la capitale a produit 25,6 millions de tonnes équivalent CO2, ce qui représente depuis 2004 une baisse de 9,2 % de ses émissions carbone.
Une modification de la méthodologie du bilan carbone
Pour réaliser cet exercice, auquel la municipalité se prête tous les cinq ans, la ville a révisé sa méthodologie, afin de recenser les émissions de gaz à effet de serre (GES) de manière plus exhaustive. Les rejets carbonés de l’année de base 2004, qui se sont avérés sous-estimés, ont été réévalués.
Les rejets des industries parisiennes ont été intégrés au bilan carbone, alors que seule l’activité de la compagnie parisienne du chauffage urbain était auparavant prise en compte. Le poids carbone d’un repas moyen a été revu à la hausse par l’Ademe, passant de 1,47 à 2,27 kg équivalent CO2. Tout comme les voyages aériens des Parisiens, qui se sont avérés plus fréquents que prévu. Au total, les émissions de GES du territoire parisien pour 2004 ont été réévaluées à 28 millions de tonnes contre 24 millions auparavant, soit une hausse de 17 %.
« Il s’agit là d’une démarche d’amélioration progressive. Le bilan carbone de 2004 de Paris était partiel, juge Pierre Radanne, expert des politiques énergétiques de lutte face au changement climatique. On manquait encore de données spécifiques au territoire lors de la réalisation du premier inventaire des émissions de gaz à effet de serre. »
Même en tenant compte des corrections apportées, on est encore loin des objectifs du plan climat adopté par la municipalité en 2004, qui vise à réduire de 25 %, d’ici à 2020, les émissions de GES et la consommation énergétique. A l’horizon 2050, le recul des émissions doit même atteindre 75 %. Célia Blauel, adjointe (EELV) de la maire en charge de l’environnement et du développement durable, reconnaît :
« Nous sommes sur une bonne tendance. Néanmoins, il nous faut maintenant créer de vraies ruptures si nous voulons accélérer le rythme. D’autant qu’une ville neutre en carbone sera l’horizon de notre prochain plan climat qui sera voté fin 2017. »
Des baisses sectorielles encore insuffisantes
C’est dans les transports, domaine où il y a eu jusque-là les évolutions les plus significatives (mesures de restrictions de circulation, création de la ligne de tramway T3 qui a permis de diminuer de 50 % le trafic sur les boulevards des Maréchaux, extension des lignes de métro 3, 4, 8, 12 et 14, développement de Vélib’ et d’Autolib’), que la ville enregistre la plus forte baisse d’émissions carbone : – 39 % depuis 2004. Il reste cependant encore du chemin à faire pour atteindre l’objectif du plan climat : réduire de 60 % les émissions engendrées par les déplacements des Parisiens intra-muros.
« Si son action va globalement dans le bon sens, la ville de Paris doit accélérer le rythme des évolutions en cours, observe Charlotte Izard, du Réseau Action Climat (RAC). On est encore loin par exemple d’avoir, comme à Copenhague, une personne sur trois circulant à bicyclette [la part modale du vélo dans les déplacements dans la capitale française ne représente encore que 4 %]. La ville doit aussi pousser pour accélérer le rythme des rénovations énergétiques des copropriétés [portées par la société d’économie mixte Energies posit’IF, dont Paris est un important membre associé]. »
De fait, dans le secteur de l’habitat, la ville n’a parcouru qu’un peu plus de la moitié du chemin à faire pour atteindre l’objectif qu’elle s’est fixé (– 25 % des émissions en 2020 par rapport à 2004). En 2014, la baisse n’était encore que de 15 %, permise par la rénovation énergétique de 4 500 logements sociaux et la construction de 7 500 logements sociaux à haute performance énergétique chaque année.
Dans le domaine des déchets, la municipalité, moins ambitieuse, ne s’est fixé en 2020 qu’une baisse de 15 % de ses émissions équivalent CO2 par rapport à 2004. En 2014, elle les avait déjà réduites de 50 000 tonnes, soit de 13 %, grâce au développement du tri sélectif, l’amélioration du compostage et la création de huit ressourceries. Ces structures ont permis d’éviter l’incinération ou l’enfouissement de quelque 2 400 tonnes de déchets.
« Davantage encore que par le tri, c’est par ce type d’actions évitant la production de nouveaux déchets que l’on obtient un vrai impact sur le climat », insiste Laura Chatel, chargée du programme Territoires chez Zéro Waste France, qui appelle la ville à surveiller la réduction globale nette de déchets sur son territoire.
Dans le domaine de l’alimentation, le bilan est beaucoup moins glorieux. Si l’introduction de repas végétariens dans la restauration scolaire et collective de la ville a permis d’éviter 17 000 tonnes équivalent CO2 par an, le territoire parisien a globalement augmenté de 10 % ses émissions carbone en dix ans. « Depuis 2004, sous l’effet de l’augmentation de la population, 7 millions de repas supplémentaires ont été distribués par la ville », justifie la municipalité.
Enfin, dans le domaine de l’énergie, Paris a réduit sa consommation de 7 % par rapport à 2004. La part des énergies renouvelables, quant à elle, n’a progressé que de 5 points pour atteindre 15,6 % de la consommation énergétique du territoire. Anne Bringault, du RAC, souligne :
« A ce rythme, l’objectif de 25 % d’énergies renouvelables d’ici à 2020 paraît difficilement atteignable. Sauf à investir dans la production d’énergies renouvelables locales en Ile-de-France. Paris ne peut se contenter de demander à ses prestataires de lui fournir une énergie certes verte, mais qui viendra souvent de loin. Elle doit s’inscrire dans un projet de territoire et produire elle-même son énergie en nouant des partenariats avec les collectivités rurales ou périurbaines franciliennes. »
D’autant qu’en investissant dans un projet d’usine de méthanisation ou de parc solaire, souligne cette spécialiste, la municipalité peut entraîner d’autres acteurs. Pierre Cannet, responsable climat, énergie et infrastructures durables chez WWF, abonde :
« Paris doit encore faire la preuve de sa capacité à embarquer dans cette transition tout un ensemble d’acteurs, dépassant ses frontières. Dans le domaine de l’alimentation, par exemple, la ville doit travailler avec le territoire qui l’entoure pour développer une nourriture plus durable. »
Le casse-tête du trafic aérien
Reste la question des émissions du trafic aérien des touristes, qui ne sont pas prises en compte dans le bilan carbone de la ville. En 2004, toutefois, ce chiffre était donné à titre indicatif : il s’élevait alors à 14 millions de tonnes équivalent CO2, ce qui représentait 36 % de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire parisien. Aujourd’hui, cette donnée n’apparaît plus. Pourtant, en dix ans, le trafic passager a considérablement augmenté. Selon le groupe Aéroports de Paris, il s’est accru de près de 27 % entre 2004 à 2015 dans les aéroports d’Orly et de Charles-de-Gaulle, passant de 75 à 95 millions de voyageurs.
« Ce domaine ne relève pas de nos compétences », regrette Célia Blauel, qui n’ignore pas le problème environnemental posé par les allers-retours aériens des touristes. Pour Jean-Baptiste Fressoz, historien du climat au CNRS, « l’aviation est incompatible avec l’impératif climatique de diviser par quatre avant 2050 nos émissions de CO2 ». Pierre Cannet relève cependant :
« Même dans ce domaine, qui, certes, ne relève pas directement de ses prérogatives, la ville de Paris doit et peut promouvoir une mobilité plus durable, démontrer que des possibilités de déplacements autrement qu’en avion sont possibles, en travaillant notamment avec d’autres villes européennes. »
D’après un rapport du Comité régional du tourisme de la région Ile-de-France, les émissions carbone liées au tourisme en général sur Paris pourraient s’élever à 27,2 millions de tonnes équivalent CO2 par an en 2050, soit une quantité supérieure à l’intégralité des émissions du territoire parisien en 2014.