Signes religieux en entreprise : les conclusions divergentes de la Cour de justice européenne
Signes religieux en entreprise : les conclusions divergentes de la Cour de justice européenne
Par Jean-Baptiste Jacquin
Dans une affaire française, une avocate générale de la CJUE estime qu’imposer un code vestimentaire neutre peut créer « une discrimination indirecte ». Dans une affaire belge, l’interdiction du port de signes religieux était jugée possible.
La question du port du voile en entreprise par des salariées musulmanes va rebondir devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). L’avocate générale Eleanor Sharpston, dans ses conclusions lues mercredi 13 juillet dans une affaire française, prend une position tranchée en estimant en particulier que « le règlement d’une entreprise imposant un code vestimentaire parfaitement neutre est susceptible de créer une discrimination indirecte ».
Asma B., embauchée en 2008 comme ingénieure d’études chez Micropole Univers, avait été licenciée en 2009 sans préavis. Le client chez qui elle intervenait, en l’occurrence l’assureur Groupama à Toulouse, s’était plaint que le voile de la jeune femme « avait gêné un certain nombre de ses collaborateurs », avait justifié la société d’ingénierie et de conseils dans sa lettre de licenciement. Groupama avait notamment demandé « qu’il n’y ait pas de voile la prochaine fois ».
Selon Micropole Univers, il ne s’agissait pas de remettre en cause les convictions religieuses de sa salariée. Mais la société a estimé que le port du voile entravait le développement de l’entreprise puisqu’il empêchait la poursuite de l’intervention chez le client.
Les prud’hommes, puis la cour d’appel ont indemnisé la jeune femme pour l’absence de préavis, mais ont estimé que le licenciement était fondé sur « une cause réelle et sérieuse ».
L’interpétation d’une directive de novembre 2000
La Cour de cassation, échaudée par l’affaire de la crèche Baby Loup dans laquelle elle n’avait pas été suivie par la cour d’appel dans son analyse sur la discrimination à l’encontre d’une salariée voilée licenciée, à cette fois préféré, avant de se prononcer, demander à la Cour de justice de l’Union européenne d’interpréter la directive du 27 novembre 2000 sur la lutte contre les discriminations en matière d’emploi et de travail.
La directive européenne prévoit notamment des exceptions à la non-discrimination si « en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée ».
Mme Sharpston estime que « cette dérogation doit être interprétée de manière stricte ». En l’occurrence, elle considère qu’Asma B. a été l’objet d’une « discrimination directe fondée sur la religion ». « Rien n’indique que le fait de porter un foulard islamique empêchait Mme B. d’accomplir ses tâches en tant qu’ingénieur d’étude », explique l’avocate générale. Elle souligne en particulier que « le risque de préjudice financier pour l’employeur ne peut pas justifier une discrimination directe ».
Conclusions différentes dans une affaire belge
Cette position est très différente des conclusions rendues, le 31 mai, par une autre avocate générale de la CJUE dans une autre affaire de voile. Dans ce dossier belge, pas strictement identique, elle avait conclu que l’interdiction du port de signes religieux par l’employeur était possible dans certaines conditions.
L’avocate générale soulignait que devaient être pris en compte « la taille et le caractère ostentatoire du signe religieux, la nature de l’activité de la travailleuse, le contexte dans lequel elle doit exercer son activité », ainsi, plus surprenant, que « l’identité nationale de l’Etat membre concerné ».
La Cour de Luxembourg devrait désormais décider de joindre ces deux affaires au fond. Mais la décision pourrait n’intervenir qu’au second semestre 2017.