Le centre bordelais d’Arts et métiers Paris Tech | stefan.meyer@neuf.fr

Après deux rapports d’inspection, en 2015 et 2016, pointant du doigt les difficultés à lutter contre le bizutage d’Arts et Métiers ParisTech – ex-Ecole nationale supérieure des arts et Métiers (Ensam) –, la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, avait promis, en février, davantage de fermeté.

C’est chose faite depuis le 13 juillet 2016 avec la publication d’un décret qui affaiblit drastiquement le pouvoir des anciens dans le conseil d’administration de l’école. Ces derniers sont en effet accusés par le ministère de ralentir l’évolution de l’école et de la période de transmission des valeurs (PTV), rituel d’intégration régulièrement accusé de flirter avec le bizutage. Selon des informations publiées par le site Médiapart le 8 juillet dernier, le parquet de Paris aurait d’ailleurs ouvert récemment une enquête préliminaire après que le ministère a dénoncé en février dernier de nouveaux cas de pratiques aux Arts et Métiers ParisTech pouvant être assimilées à du bizutage.

Objectif affiché de ce décret : donner plus de liberté à la direction de l’école pour lutter contre les dérives de « l’usinage », autre appellation de la PTV, défendu ardemment par les anciens élèves au sein du conseil d’administration de l’école. Cette période – deux mois au début de l’année scolaire – consiste en un rite d’intégration des étudiants de première année par leurs prédécesseurs, sous forme d’activités communes : travaux manuels, cérémonie nocturne à la bougie, défilés quasi militaires, etc. L’épreuve initiatique est censée faire entrer dans le moule les petits nouveaux tout en leur transmettant les valeurs de « fraternité » et de « solidarité » prônées par les « gadzarts » – les gars des arts.

Evoluer avec la société

Ce rite, difficile à refuser pour les nouveaux arrivants, a parfois donné lieu à des actes de bizutage. Un rapport d’inspection indiquait ainsi en 2015 que la PTV pouvait être vécue par certains élèves « comme du harcèlement et de l’endoctrinement ». Il enjoignait à la direction de l’école d’encadrer ces pratiques. En février, un second rapport a salué les efforts entrepris par elle, mais estimé qu’elle aurait pu aller plus loin sans le poids de la puissante société des anciens d’Arts et Métiers – la « Soce », forte de 33 000 membres – au sein du conseil d’administration (CA) de l’école : les anciens y occupaient jusqu’à ce jour 18 postes sur 33.

Interrogé par Le Monde, Laurent Carraro, le directeur général de l’école, estime qu’il « n’est pas question de remettre en cause l’objectif et la pertinence de la PTV », mais de permettre plus facilement de la « faire évoluer avec la société ». Le ministère a choisi d’agir vite en proposant dès le mois de mars ce décret qui fait, entre autres, sortir du conseil d’administration national de l’école les présidents des CA des centres régionaux, industriels locaux tous membres de la Soce. Ces derniers siégeront désormais dans un « conseil territorial » consultatif, qui comptera aussi dans ses rangs des représentants des régions.

Pour le ministère et la direction des Arts et Métiers, ce décret est avant tout une bonne occasion de reprendre la main sur la gestion de l’école, forte de huit campus. Car ces derniers jouissaient jusqu’en 2012 d’une relative autonomie (entre autres en termes de stratégie de formation), au sein de laquelle les anciens jouaient un rôle important. Mais, depuis quatre ans et le début d’un processus de re-centralisation de l’école autour d’une direction nationale forte, les frictions avec ces gadzarts se sont multipliées. Sur l’évolution de la PTV, mais pas uniquement. Les anciens s’étaient par exemple fortement mobilisés en 2013 contre la mise en place d’un bachelor de technologie au sein de l’institution.

Equilibrer les forces

« Je n’ai aucun état d’âme sur le fait que les anciens élèves aient un rôle dans la gouvernance de l’école, mais c’est une question d’équilibre des forces », explicite Laurent Carraro. Le nouveau CA de l’école « devrait être opérationnel début septembre » selon lui. L’association des anciens a réagi vers la mi-juin, bien tardivement selon nombre d’observateurs, dans une lettre ouverte au président de la République. Son président Jacques Paccard y estimait qu’il était « encore temps d’arrêter une réforme qui déstabilise inutilement et menace la qualité de l’une des meilleures formations d’ingénieurs », en coupant « le lien avec les ingénieurs diplômés » et le monde industriel.

S’en est suivie début juillet une guerre ouverte entre le président de l’association des anciens et le directeur de l’école, sous la forme d’échanges épistolaires publics. Dans une dernière lettre datée du 7 juillet destinée à Jacques Paccard, Laurent Carraro dénonçait la « campagne de désinformation » mise en œuvre par la Soce et les anciens, entre autres autour du pourcentage d’industriels au sein du CA de l’école avant et après le décret.

Ces anciens, lorsqu’ils dirigent des entreprises, ont la possibilité de verser à Arts et Métiers ParisTech leur taxe d’apprentissage. Selon un rapport de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aeres) de décembre 2014, cette taxe représentait en 2013 un quart des ressources propres de l’école.