Il est de ces gestes, de ces moments, dont la force symbolique, tout à coup, semble plus percutante que les discours, ou que la violence. Mercredi soir, 13 juillet, un homme à petites lunettes façon Malcolm X, large drapeau du Zimbabwe noué autour des épaules, émerge libre d’un tribunal à Harare, et voilà que des hommes, des femmes, le même drapeau flottant sur eux dans l’air glacé de la nuit, l’acclament.

Le pasteur Evan Mawarire mène depuis plusieurs mois un mouvement de protestation non violent, et soutient un mouvement de résistance passive aux allures de grève générale. Il avait été arrêté mardi, au premier jour d’une nouvelle vague d’action, du reste peu suivie en raison du climat de peur qui règne dans le pays. Mais, contre toute attente, il n’a pas été poursuivi sur la base des charges retenues contre lui qui équivalaient à une accusation d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Le juge de Harare a accepté l’évidence du vice de forme dans les poursuites engagées par le procureur. Egalement contre toute attente, la police n’a pas chargé, pas frappé ceux qui applaudissaient. Contre toute attente, enfin, un gros millier de personnes ne s’était pas laissé intimider par la quasi-certitude de subir des violences.

Un drapeau et une Bible

La petite foule n’a pas eu peur de braver le froid, la police, les agents des services de renseignement qui pullulaient, les arrestations. Au Zimbabwe, cela représente beaucoup, et cette démonstration parcourt désormais le pays plus vite que la vitesse des électrons qui ont diffusé, depuis mai, le début de la campagne « Pasteur Evan » sur les réseaux sociaux, autour du hashtag #thisflag.

Le pasteur dit avancer avec deux armes : un drapeau et une Bible. Dans la foulée de sa libération mercredi soir, il diffusait un petit discours de remerciement, avec quelques fondamentaux de ses principes d’action, façon judo : pas d’agression frontale, utilisation de la force de l’adversaire : « Aujourd’hui, nous avons montré la puissance de l’unité (…) Il n’y avait pas de violence, personne ne se battait, personne ne jetait de pierres. Et de conclure : Notre message est : ça suffit ! » (« Enough is enough »). Jeudi matin, il a appelé à poursuivre le mouvement de grève générale débuté la veille.

Mercredi, l’appel à la grève générale n’avait pas été suivi. Les raisons sont multiples, mais les menaces du pouvoir, qui avait averti que la loi serait appliquée « dans toute sa sévérité » contre ceux qui… resteraient chez eux donc, avaient joué un rôle certain.

Nul ne sait de quoi la suite sera faite, car il souffle un drôle d’air au Zimbabwe. Un air de contestation, un air de lassitude extrême, face au retour des difficultés économiques. Il y a des retards de paiement dans les salaires , les pensions des retraités n’ont pas été payés depuis le mois de mai, les devises manquent. La Banque centrale envisage de remettre en circulation d’ici octobre des dollars zimbabwéens, masqués en « bons du trésor pour l’export », et qui rappellent l’effet de la planche à billets devenue folle en 2008, lorsque l’inflation, par voie de conséquence, avait atteint 500 milliards de pourcents, selon le Fonds monétaire international (FMI).

Le temps de la contestation

Il souffle aussi, dans le pays, un air de fin de règne. Le président, Robert Mugabe, 92 ans, apparaît parfois affaibli, et des factions au sein du pouvoir se déchirent pour sa succession. L’une d’entre elle est réunie autour de son épouse, Grace : la Génération 40 rassemble des poids lourds de la Zanu-PF, le parti au pouvoir depuis l’indépendance, face à L’Equipe Lacoste, constituée autour du premier vice-président, Emmerson Mnangagwa, dit Ngwena (le crocodile). Même les « vétérans » – les vrais comme les faux –, de la guerre d’indépendance, sont divisés.

Des militants du mouvement de protestation non violent venus soutenir le pasteur Ewan Mawarire devant le tribunal de Harare, le 13 juillet 2016. | JEKESAI NJIKIZANA/AFP

L’opposition meurtrie, celle du Mouvement pour le changement démocratique (MDC) de Morgan Tsvangirai, en est pratiquement réduite à compter les points, en regardant la Zanu-PF imploser : le processus a déjà donné à la création d’un parti à la tête duquel se trouve Joice Mujuru, ancien deuxième vice-présidente et veuve d’un successeur potentiel du président Mugabe, mort dans des circonstances étranges : brûlé vif alors qu’il était enfermé dans sa maison. Ce parti, fort à propos, se nomme le Zimbabwe People First (« le peuple zimbabwéen d’abord »).

Nul ne sait ce qu’il pèsera, mais il entretient aussi l’idée que le temps de la contestation est venu, même si le pouvoir reste solidement arrimé à son appareil sécuritaire, et continue d’avoir la main lourde. Mais des manifestations ont eu lieu il y a une dizaine de jours dans des banlieues de Harare, pour protester contre les extorsions des policiers aux barrages routiers (certains de ces policiers semblaient ne pas avoir été payés non plus), ou à la frontière avec l’Afrique du Sud, lorsque le Zimbabwe a tenté d’interdire l’importation de nombreux produits, pour essayer de conserver ses rares devises, au risque de créer des pénuries dangereuses. Tendai Biti, ex-ministre des finances du MDC (dont il a été expulsé depuis pour former son propre parti), l’avait annoncé : selon lui, 2016 devait être l’année où le Zimbabwe serrait rendu « ingouvernable ». Personne n’avait voulu le croire. Il manquait sans doute à cette prophétie deux éléments : un drapeau et une Bible.