Terrorisme : le gouvernement n’a-t-il vraiment rien fait depuis deux ans ?
Terrorisme : le gouvernement n’a-t-il vraiment rien fait depuis deux ans ?
Par Martin Untersinger, Maxime Vaudano, Marie Boscher
L’opposition dénonce l’inaction du gouvernement, qui a pourtant multiplié les initiatives antiterroristes depuis le début du quinquennat.
Manuel Valls, François Hollande et Bernard Cazeneuve, le 15 juillet à Nice. | ERIC GAILLARD / REUTERS
Charlie Hebdo, Hyper Cacher, Montrouge, Saint-Quentin-Fallavier, Thalys, 13-Novembre, Magnanville et maintenant Nice : à mesure que la liste des attentats meurtriers perpétrés sur le sol français au nom de l’organisation Etat islamique (EI) s’allonge, l’unité nationale dans la classe politique s’effrite.
Invité dimanche 17 juillet sur TF1, le président du parti les Républicains (LR) Nicolas Sarkozy a violemment critiqué la politique antiterroriste du gouvernement, en déclarant que « tout ce qui aurait dû être fait depuis dix-huit mois […] ne l’a pas été ». La veille, le maire (LR) de Bordeaux Alain Juppé avait estimé que « si tous les moyens avaient été pris, l’attentat n’aurait pas eu lieu ». Manuel Valls et ses ministres ont répliqué en assurant qu’« aucun gouvernement n’a fait autant jusqu’à présent pour lutter contre le terrorisme ». L’occasion de faire le point sur le bilan de la gauche en matière antiterroriste depuis 2012.
- L’état d’urgence en vigueur depuis plus de huit mois
- Un changement des règles pour les policiers
- Un renforcement des effectifs de sécurité… contesté
- Un durcissement de la réponse judiciaire
- Plus de moyens pour la sécurité dans les transports
- Un renforcement du renseignement
- Le terrorisme attaqué au porte-monnaie
- La lutte contre les sites djihadistes
- Des mesures contre la radicalisation
- Les contrôles aux frontières rétablis
- L’EI frappé sur ses terres
L’état d’urgence depuis plus de huit mois
Décrété dans la nuit du 13 novembre, l’état d’urgence est toujours en cours. L’exécutif, qui voulait y mettre un terme le 26 juillet, a finalement décidé de le prolonger une quatrième fois pour une durée de trois mois, à la suite de l’attentat de Nice. Ce régime d’exception permet notamment d’assigner à résidence et d’effectuer des perquisitions chez des personnes, sans avoir à justifier de soupçons précis à leur encontre.
Un changement des règles pour les policiers
L’état d’urgence permet aux policiers de garder leur arme en dehors de leur service – mais il s’agit d’une mesure provisoire. Après le double meurtre de Magnanville, en juin, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a annoncé que cette disposition allait être pérennisée, pour subsister après la fin de l’état d’urgence.
L’exécutif a aussi décidé, au même moment, de protéger davantage l’anonymat des policiers pour éviter qu’ils puissent être pris pour cible – sans qu’on sache pour l’instant par quelles mesures concrètes cela se traduira.
La loi les protège également désormais contre toutes poursuites pénales s’ils font un usage « absolument nécessaire » de leur arme à feu dans des situations de péril meurtrier, comme lors des attentats de janvier 2015, où les sommations sont inutiles.
Un renforcement des effectifs de sécurité… contesté
Après une baisse importante des effectifs de police et de gendarmerie sous le quinquennat Sarkozy, le gouvernement assure que 9 341 postes auront été créés entre 2012 et 2017. Un chiffre contesté par l’opposition, qui prétend au contraire que les effectifs ont baissé. La réalité est probablement entre les deux, mais plusieurs biais méthodologiques empêchent de connaître le chiffre exact, comme l’expliquent nos confrères de Libération.
Pour les épauler, l’opération Sentinelle mobilise, depuis les attentats de janvier 2015, quelque 10 000 militaires pour surveiller des sites sensibles sur le territoire français. Le gouvernement a aussi lancé une grande campagne de recrutement de réservistes opérationnels, avec l’objectif de passer de 28 000 à 40 000 personnes opérationnelles à la fin 2018.
Un durcissement de la réponse judiciaire
En quatre ans, la gauche a adopté quatre lois à visée antiterroriste pour renforcer l’arsenal juridique à disposition des autorités… quitte à s’attirer les foudres des défenseurs des libertés publiques.
Voici quelques évolutions qu’elles ont introduites :
Il est désormais possible d’interdire à une personne suspectée de radicalisation de sortir du territoire, pour éviter qu’elle rejoigne les zones de djihad. L’interdiction ne peut toutefois excéder deux ans.
Pour faciliter les poursuites contre les « loups solitaires », qui se radicalisent en dehors d’un réseau ou d’une organisation terroriste, le délit d’entreprise terroriste individuelle a été créé. Il peut être caractérisé par plusieurs « signaux faibles » avant le passage à l’acte, comme la détention d’armes, les séjours dans des zones de djihad ou la consultation répétée de sites faisant l’apologie du terrorisme. Il est également plus facile de poursuivre les Français ayant commis des actes terroristes à l’étranger ou participé à des camps d’entraînement terroriste. Le gouvernement assure que ces évolutions ont permis d’ouvrir 300 procédures judiciaires visant 1 200 Français impliqués dans des filières djihadistes, à la date du 18 juillet 2016.
Les auteurs de crimes terroristes peuvent désormais être condamnés à une peine à perpétuité incompressible, sans possibilité de libération anticipée.
Le parquet et la police judiciaire pourront bientôt utiliser lors de leurs enquêtes de nombreux outils jusqu’à présent réservés aux juges d’instruction dans le cadre d’informations judiciaires, après autorisation du juge des libertés et de la détention : écoutes téléphoniques, vidéosurveillance, captations de données informatiques ou perquisitions de nuit.
Il est maintenant possible d’assigner à résidence pendant un mois une personne qui revient d’un théâtre d’opérations où interviennent des groupes terroristes, même s’il n’existe pas suffisamment d’éléments pour saisir la justice.
Les forces de l’ordre peuvent également retenir pendant quatre heures, sans avocat, une personne dont il y a « de sérieuses raisons de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste ».
Tenu en échec sur la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité, le gouvernement a utilisé l’état actuel du droit pour expulser quelques terroristes étrangers ou binationaux ayant purgé leur peine.
Plus de moyens pour la sécurité dans les transports
Depuis mars 2016, les agents des services de sécurité de la SNCF et de la RATP peuvent procéder à des palpations de sécurité et fouiller les bagages des passagers. Ils doivent au préalable recueillir l’accord des personnes visées, mais peuvent interdire l’accès aux transports aux récalcitrants et retenir les personnes qui refusent de se soumettre à un contrôle d’identité en attendant l’arrivée des forces de l’ordre. Les deux entreprises publiques de transport pourront aussi vérifier que leurs personnels affectés à des postes sensibles (conduite des trains, aiguillage, etc.) ne font pas l’objet d’une fiche S pour suspicion de radicalisation.
Un renforcement du renseignement
La loi sur le renseignement, promulguée en juillet 2015, a rendu légaux un certain nombre de pratiques que menaient, jusqu’alors dans l’illégalité, les services de renseignement. Ces derniers peuvent désormais poser un mouchard dans un ordinateur, permettant de leur donner accès à tout ce qui est tapé sur le clavier ou affiché à l’écran, une balise GPS sur un véhicule ou des micros dans une pièce. La loi sur le renseignement a aussi mis en place un système d’analyse massif des données circulant sur l’Internet français afin de pouvoir détecter des comportements terroristes – même si ce dispositif n’est pas encore appliqué. Cette loi a été violemment critiquée par les associations de défense des droits de l’homme et de nombreux organismes publics.
Pour faciliter le suivi des individus radicalisés, le gouvernement a également créé en 2015 le FSPRT (fichier de signalement des personnes radicalisées à caractère terroriste), qui centralise les informations récoltées sur environ 12 000 suspects potentiels.
Enfin, le PNR (pour « Passenger Name Record ») a enfin été adopté par le Parlement européen en avril. Ce fichier, destiné à recueillir les données personnelles des passagers aériens qu’ils volent vers ou hors de l’Union européenne, était bloqué depuis 2007, et Paris avait fait de son adoption une priorité. Le texte n’est pas réellement un fichier géant commun à tous les pays, mais redéfinit les règles de dialogue entre les Etats dotés (ou en cours de dotation) d’un PNR national afin de faciliter le recueil et le transit d’informations sur des passagers suspects. Un autre point important limite son action : les citoyens doivent au préalable donner leur accord pour la saisie d’information.
Le terrorisme attaqué au porte-monnaie
Plusieurs mesures entrées en vigueur début 2016 doivent permettre de lutter contre le financement du terrorisme. Elles limitent la possibilité de retirer de l’argent en espèces, l’anonymat des cartes bancaires prépayées et renforcent le pouvoir de surveillance de la cellule antiblanchiment Tracfin.
La Commission européenne a aussi repris plusieurs demandes de la France dans son plan d’action contre le financement du terrorisme, qui doit être adopté d’ici la fin 2016 : celui-ci prévoit notamment de réguler les plateformes d’échange de monnaies électroniques, de limiter l’usage des billets de 500 euros et d’améliorer la coopération entre les services de renseignement financier européens.
La lutte contre les sites djihadistes
La majorité a rendu possible en 2014 le blocage administratif de sites djihadistes (c’est-à-dire décidé sans l’intervention a priori d’un juge), alors que la mesure était jusqu’alors réservée aux sites pédopornographiques. En avril, 60 sites Internet faisaient l’objet d’une telle mesure. La loi offre depuis longtemps la possibilité d’un blocage judiciaire, décidée par un juge, mais parfois jugée trop lente.
La récente réforme pénale a aussi introduit dans notre droit un délit de consultation habituelle de sites terroristes, réclamé par la droite depuis plusieurs années. Si cette disposition survit à son passage prochain devant le Conseil constitutionnel (ce qui est hasardeux), la consultation de sites djihadistes sera passible dès l’automne de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende, avec des garde-fous pour les chercheurs, les enquêteurs ou les journalistes, qui pourront les consulter dans l’intérêt général.
Des mesures contre la radicalisation
La plateforme « Stop Djihadisme », lancée début 2015, propose des outils de contre-propagande à destination de personnes susceptibles d’être radicalisées. Partant du principe qu’une partie de l’enrôlement djihadiste se fait sur Internet et les réseaux sociaux, le site met à disposition des vidéos démontant les arguments classiques des groupes islamistes comme l’EI et des témoignages de familles touchées par le terrorisme et la radicalisation. Un numéro vert a aussi été créé pour signaler tout danger ou se renseigner sur la lutte contre la radicalisation.
Le gouvernement expérimente aussi depuis 2014 l’isolement des détenus radicalisés dans les prisons, pour améliorer leur surveillance et éviter la dissémination de leurs idées auprès de leurs codétenus. Placés dans des cellules individuelles, ils doivent suivre un programme intensif composé de rencontres avec des psychologues, des terroristes repentis ou encore des victimes d’actes terroristes. Une centaine de détenus sont aujourd’hui pris en charge dans cinq quartiers pénitentiaires spécifiques, sur les quelque 1 400 « radicaux » identifiés par la chancellerie dans les prisons françaises (dont 300 ont un lien avec le terrorisme). Une partie de la droite réclame une généralisation immédiate du dispositif, même si celui-ci affiche pour l’instant un bilan contrasté.
Le nombre d’agents de renseignement pénitentiaire doit être porté en 2016 à 185, contre 72 au début du quinquennat. Un effort insuffisant aux yeux de la droite, et de la récente commission parlementaire sur les attentats.
Enfin, depuis 2012, le gouvernement affirme avoir expulsé 80 « prêcheurs de haine ou de pseudo-imams autoproclamés », et fermé dix mosquées ou salles de prières « radicalisées », sur la centaine de structures sous influence salafiste qu’ont identifiées les renseignements.
Les contrôles aux frontières rétablis
Le gouvernement a profité d’une clause dans les règles de Schengen pour rétablir des contrôles aux frontières après le 13 novembre. Il assure que, depuis, 48 millions de personnes ont été contrôlées, dont 28 000 ont été empêchés d’entrer sur le territoire français.
Ce qui n’a pas empêché de laisser filer en Belgique Salah Abdelslam, le dernier survivant du commando du 13 novembre, retrouvé seulement plusieurs mois plus tard.
L’EI frappé sur ses terres
L’armée française a initié une intervention contre l’organisation Etat islamique dans le cadre d’une coalition internationale peu après la proclamation du « califat », en juin 2014. Elle intervient en Irak depuis septembre 2014 et en Syrie depuis septembre 2015, avec des frappes aériennes et des missions de conseil au sol en Irak. Elle mène aussi des actions militaires discrètes en Libye.
Une stratégie à double tranchant, puisque, si elle permet d’affaiblir l’organisation terroriste sur ses terres, elle nourrit aussi le ressentiment de ses fidèles contre la France (qui existait déjà avant l’intervention militaire).
Paris devrait intensifier à l’automne sa présence sur ces théâtres d’opération, dans le cadre de l’effort mené par la coalition pour reprendre à l’EI ses fiefs de Rakka (Syrie) et de Mossoul (Irak).
Ce que le gouvernement n’a pas fait
Voici quelques propositions soutenues par une partie de la classe politique que le gouvernement n’a pas souhaité – ou pas réussi à – mettre en place :
Etendre la déchéance de nationalité aux binationaux ou à tous les Français : le gouvernement a échoué après quatre mois de débats.
Constitutionnaliser l’état d’urgence : la réforme a échoué en même temps que la déchéance de nationalité.
Rétablir l’indignité nationale : beaucoup le proposaient après les attentats du 13 novembre comme substitut à la déchéance de nationalité, mais plus personne n’en parle.
Enfermer ou perquisitionner les fichés S : c’est juridiquement impossible (et dangereux).
Créer une agence nationale antiterroriste avec une base de données commune et redynamiser le renseignement territorial, comme le préconise le récent rapport de la commission parlementaire sur les attentats.
Fusionner les forces d’intervention d’élite (GIGN, BRI, Raid), comme le préconise la même commission.
Arrêter les flux de migrants qui entrent en Europe : le FN le propose mais, outre des difficultés juridiques, politiques et éthiques, une telle décision n’aurait pas empêché tous les attentats commis en France.
Autoriser les préfets à fermer les lieux de culte salafistes : c’est déjà possible dans le cadre de l’état d’urgence, mais certains dans l’opposition voudraient normaliser la pratique.
Lancer une intervention au sol en Syrie pour éradiquer l’EI : certains responsables de l’opposition le réclament, mais l’exécutif s’y refuse, jugeant l’idée « inconséquent[e] et irréaliste ».