Enfance, amour et perdition : nos choix cinéma
Enfance, amour et perdition : nos choix cinéma
Par Isabelle Regnier
Moins de sorties qu’à l’ordinaire mais une grande diversité de styles : c’est notre sélection cinéma de la semaine.
LA LISTE DE NOS ENVIES
Que vous aimiez les histoires d’amour qui finissent mal, celles de l’enfance, ou les divertissements (très) cruels et violents, l’un de ces trois films est pour vous.
CHRONIQUE D’UNE SÉPARATION : « Une nouvelle année », d’Oxana Bychkova
Bande annonce film Une nouvelle année
Durée : 01:50
Une nouvelle année fait partie de ces petits films qui se nichent discrètement au creux d’un été de sorties ternes et vous cueillent sans crier gare. Non parce qu’il serait un chef-d’œuvre, mais par sa nature même, inégale, vacillante, inaboutie, qui parvient à force de persévérance à faire naître une émotion profonde et inattendue, de celles dont le scintillement éclaire à rebours son cheminement incertain.
De la persévérance, il en faut, justement, pour entrer dans ce cinquième long-métrage et premier à sortir en France de la réalisatrice russe Oxana Bychkova, adaptation actualisée d’un roman du dramaturge Alexandre Volodine (1919-2001), l’un des disciples de Tchekhov. Celle-ci se présente comme la radiographie d’une séparation, celle d’un couple de jeunes Moscovites d’aujourd’hui.
Séparation qui avance masquée, comme une suite de microfissures imperceptibles qui enrayent, puis bientôt défigurent le cours du quotidien. La force du film tient à la manière qu’il a de ne pas envisager l’amour comme le moment d’une inexorable séparation ; c’est au contraire la séparation qui est comprise comme un moment de l’amour, et sans doute le plus intense, tant elle contient son épreuve de vérité suprême. Pas à pas, et en partant de la réalité la plus prosaïque, Une nouvelle année installe ainsi une forme d’eschatologie amoureuse, percevant dans l’acceptation des forces corrosives qui déchirent le couple le secret même de son éternité. Mathieu Macheret
« Une nouvelle année », film russe d’Oxana Bychkova. Avec Nadia Lumpova, Alexeï Filimonov, Natalia Terechkova, Alexandre Aliabiev (1 h 47).
CRUEL CARNAVAL : « American Nightmare 3. Elections », de James DeMonaco
American Nightmare 3 : Élections / Bande-annonce officielle 2 VOST [Au cinéma le 20 juillet]
Durée : 02:32
American Nightmare 3. Elections est le troisième volet d’une franchise qui repose sur un postulat tout à la fois extravagant et métaphorique. Dans un futur que l’on imagine proche, aux Etats-Unis, il est désormais permis de commettre durant une nuit tout crime ou délit sans risquer de poursuites judiciaires.
Ce qui a pour vocation, en théorie, de purger la société de ses dysfonctionnements violents une fois par an, donne l’occasion à de nombreux individus de régler leurs différends divers par le meurtre et d’assouvir leurs pulsions les plus brutales. Le deuxième volet de la série, American Nighmare 2. Anarchy, enfonçait grossièrement le clou d’une métaphore politique un peu évidente qui dénonçait la violence de classe s’imposant, in fine, inévitablement.
Ce troisième épisode conserve une dimension de pamphlet politique couplé avec la candide hypocrisie d’une dénonciation de la violence qui multiplie, en même temps, les scènes d’action brutales.
Une candidate à la présidence, opposée à la « purge », est traquée toute une nuit avec son garde du corps par des tueurs au service d’un gouvernement dont les membres forment une véritable secte millénariste pratiquant des sacrifices humains.
Sur un principe qui rappelle certains films de John Carpenter (l’élégance formelle en moins, hélas), le film de James DeMonaco est un assez saisissant divertissement nourrissant son récit de cavale et de survie nocturne et urbaine d’une multitude de détails qui en augmentent la dimension anxiogène. American Nighmare 3. Elections est un carnaval cruellement ludique dont les participants multiplient les postures et les travestissements les plus baroques. Adolescentes en tutu de ballerine maniant la kalachnikov, mercenaires surtatoués, tueurs aux masques grotesques et en costumes du XVIIe siècle agrémentent une sorte de bande dessinée pour adultes à la fois bien-pensante et un poil malsaine. Jean-François Rauger
« American Nightmare 3. Elections », film américain de James DeMonaco. Avec Frank Grillo, Elizabeth Mitchell (1 h 50).
CONTE D’ÉTÉ : « L’Eté de Kikujiro », de Takeshi Kitano
L'Eté de Kikujiro ( 1999 - bande annonce VOST )
Durée : 01:50
Pourquoi ce sentiment, pénible à la mesure de l’admiration qu’on a portée à son œuvre, d’avoir perdu de vue Takeshi Kitano ? Immense cinéaste des années 1990 (Sonatine, Kids return, Hana-bi…), passeur du film de yakuzas au filtre d’une violence stylisée, d’un humour macabre et d’une poésie mélancolique qui n’appartenaient qu’à lui, cet ex-showman de la télévision nippone a commencé de désappointer son public dès les années 2000.
Film de sabre baroque, autofiction fellinienne, retour laborieux à la pègre, rien de tout cela, qui est pourtant loin de déshonorer sa filmographie, ne remplaça dans le cœur de ses admirateurs l’aura de la décennie précédente. La reprise de son huitième long-métrage, L’Eté de Kikujiro, réalisé en 1999, tombe à pic pour saisir a posteriori ce qui est probablement le moment de bascule de son œuvre. Cet instant où, lassé par une veine qui l’a pourtant porté au zénith avec la consécration mondiale de Hana-bi, Kitano, non sans un certain courage, s’envoie lui-même promener.
L’Eté de Kikujiro se passe donc logiquement sur les routes, où le cinéaste-acteur s’est choisi un compagnon de dérive estivale en la personne d’un garçonnet joufflu d’une dizaine d’années. Kitano y campe un yakuza, mais d’un type cette fois un peu particulier. Solitaire, raté, et contraint par sa petite amie qui le traite comme un moins que rien d’accompagner un garçonnet délaissé de Tokyo à la rencontre de sa mère en province. Transition idéale, qui le mène de la violence extrême du flingueur froid à la douceur rude d’une figure paternelle de substitution.
Voici donc, pour les cinéphiles, ce qui rend ce film si attachant : c’est d’y trouver à la fois des éléments connus (détournement du film de gangsters, héros impavide, génie du cadre, humour qui affleure) et le virage vers autre chose (la tendresse assumée, la part autobiographique, le mélo, le road-movie). Changement d’horizon cinéphilique qui nous ferait passer de Quentin Tarantino (Pulp Fiction) à Charlie Chaplin (The Kid). Jacques Mandelbaum
« L’Eté de Kikujiro », film japonais de Takeshi Kitano. Avec Takeshi Kitano, Yusuke Sekiguchi, Kayoko Kishimoto (2 h 01).