Anthony Stoquert, spécialiste des abeilles, et Fanny Loesh, stagiaire, dans le laboratoire du Centre d'études biologique de Chizé, dans les Deux-Sèvres. | THEOPHILE TROSSAT POUR "LE MONDE"

Progrès notables, mais peut encore mieux faire. Cette appréciation pourrait être celle des nouveaux stagiaires à l’égard des entreprises qui les emploient. Neuf mois après la publication du dernier décret d’application de la loi du 10 juillet 2014 sur l’encadrement des stages, ils sont plusieurs dizaines à avoir répondu à un appel à témoignages du Monde.fr.

Si certaines entreprises ont encore du mal à rompre avec des pratiques contre lesquelles entend lutter la loi, la majorité des stagiaires 2016 décrivent une situation bien plus favorable que celle vécue par leurs aînés.

Un engagement du président de la République

Limiter les abus des entreprises dévoreuses de stagiaires, c’était l’un des engagements du candidat François Hollande à l’élection présidentielle de 2012. La loi de 2014 met fin aux stages à rallonge non rémunérés. Dorénavant, ils sont limités à six mois et donnent droit à 554 euros de gratification pour 154 heures de travail mensuel.

Les stagiaires voient leurs droits se rapprocher de ceux des salariés de la société qu’ils ont rejointe. L’accès au restaurant d’entreprise, aux tickets restaurant et le droit à des congés payés ne sont plus soumis au bon vouloir de l’entreprise ; c’est dorénavant un droit.

Les stages sont également obligatoirement intégrés dans un cursus. En clair, il est interdit à une entreprise de recruter un stagiaire pour des tâches qui ne seraient pas associées à une formation et des heures de cours dans une école ou une université. Ce qui, jusque-là, pouvait être assimilé à du travail dissimulé est plus compliqué à mettre en œuvre. Enfin, le nombre de stagiaires par entreprise est limité à 15 % des effectifs.

Des entreprises « plutôt réglos »

Etudiant en master professionnel à l’université de Rouen en Normandie, Pierre, 23 ans, n’a que des louanges à formuler : gratification et horaires respectés, supérieurs hiérarchiques « attentifs » et « bienveillants ».

Idem pour Joris, stagiaire chez un opérateur de télécommunication, qui souligne le cadre « professionnel » et « accueillant » de l’entreprise et se réjouit d’obtenir un « salaire » et des « tickets restaurant » comme le veut la loi.

Théo, 20 ans, en DUT chimie, déclare même qu’il est rémunéré au-delà de ce qu’exige la législation. Quant aux heures supplémentaires qu’il réalise chaque semaine, ses employeurs lui ont proposé des congés « équivalents ». Ils sont « plutôt réglos » affirme-t-il.

Plusieurs insistent sur le souci des entreprises de respecter à la lettre la loi. Alexis, par exemple, étudiant à l’Essca Angers, qui se félicite d’un stage « très enrichissant », souligne l’attention particulière de « la juriste de l’entreprise au respect du droit du travail » concernant l’encadrement des stagiaires.

Des abus demeurent

Une vigilance que le volet répressif de la loi encourage : les sociétés qui prendraient le texte à la légère s’exposent à une amende administrative de 2 000 euros par stagiaire, 4 000 euros en cas de récidive.

Mais ces sanctions n’effraient pas certaines sociétés : André, un Parisien de 24 ans en stage de fin d’études, signale la pratique de son employeur qui n’accorde pas de ticket restaurant à ses stagiaires sous le prétexte que la gratification qu’il accorde est supérieure au minimum légal.

Matthieu, en bachelor d’informatique et également parisien, satisfait de son stage, note toutefois un nombre de stagiaires supérieur à ce que prévoient les textes : « Ils sont un peu plus de 15 % », note-t-il avec un goût certain pour la litote : lorsque le décompte est fait, 37 % des salariés de son entreprise sont des stagiaires.

Effets pervers

L’obligation faite aux entreprises de rémunérer les stagiaires au-delà de deux mois de présence dans l’entreprise a des effets pervers, indiquent par ailleurs plusieurs témoignages. « Les employeurs sont réticents à proposer des stages qui dépassent ce seuil », regrette Loïc, 22 ans, élève ingénieur.

Pour contourner l’esprit du texte, et débourser le moins possible, « certaines entreprises sont prêtes à faire des calculs très savants » : par exemple en intégrant des temps partiels afin de faire durer le stage en nombre de jours tout en restant au-dessous du seuil qui déclenche un paiement ; ou encore en faisant faire deux stages de moins de deux mois avec une période de carence d’une semaine entre les deux.

Si la nouvelle législation semble globalement améliorer la situation, le décalage entre l’offre de stages des entreprises et la demande des étudiants est toutefois tel que le rapport de forces continue à jouer en défaveur des jeunes, qui restent parfois contraints d’accepter, pour mener à terme leurs études, des situations illégales.